Kindiady, Dubréka —
La chaleur écrase la cour poussiéreuse du centre d’enrôlement. À l’ombre rare des murs décrépis, des hommes, des femmes, des enfants s’entassent, documents serrés contre eux, dans une attente tendue. De temps en temps, une bourrasque soulève la poussière rouge qui colle à la peau et rend l’air plus lourd encore. Mais personne ne bouge. Ici, dans ce quartier oublié de Dubréka, l’attente est synonyme d’espoir.
Sous une bâche trouée, Bilal Kourouma, l’un des agents recenseurs, tapote nerveusement sur l’écran figé d’une machine. Une goutte de sueur roule sur son front. « Depuis le premier jour, nous avançons… mais à quel prix », murmure-t-il, presque pour lui-même. Autour de lui, les visages des agents sont tendus, fatigués. Une machine a lâché la veille. Pas de réparateur à l’horizon. Désormais, seules quatre tournent encore péniblement, traitant un nombre réduit de dossiers. Trop peu, beaucoup trop peu face à la foule qui grandit chaque jour.
À l’intérieur du centre, le vrombissement d’un vieux ventilateur couvre à peine les appels des noms inscrits. Chaque fois qu’un nom résonne, un frisson parcourt la file. Mais souvent, l’espoir se brise sur un obstacle bureaucratique : le papier manquant.
« Sur dix personnes, seules deux ou trois ont un extrait biométrique ou un certificat de nationalité », confie Balla Faro, le président du conseil de quartier. Derrière son bureau encombré de formulaires froissés, il semble porter sur ses épaules la détresse de tout Kindiady. « Les autres… on ne peut rien pour eux. »
Il y a quelques mois, raconte-t-il, les autorités avaient promis une opération de régularisation. Des fiches distribuées, des registres ouverts. Puis… plus rien. Les magistrats censés venir officialiser les documents ne sont jamais arrivés. Alors Balla Faro fait des allers-retours à la justice de Dubréka, tentant de sauver ce qui peut l’être. « Mais c’est une course contre la montre », souffle-t-il.
Dehors, dans la poussière brûlante, la frustration monte. Certains parents baissent la tête, résignés. Beaucoup ignorent que sans extrait de naissance, c’est l’existence légale de leur enfant qui est en jeu. « Les gens font des naissances, fêtent le baptême, et continuent leur vie, sans comprendre l’importance de ce document », regrette Balla Faro.
Quand l’un des agents annonce à voix haute : « Sans extrait, pas d’enrôlement ! », un léger murmure de colère traverse la file. Certains repartent, documents en main, le regard vide. D’autres s’accrochent, décidés à attendre encore, espérant un miracle.
« La motivation est là », insiste Balla Faro, son regard perdu vers la foule. « Mais sans solution rapide, on va perdre cette génération. »
À Kindiady, le recensement n’est pas seulement un processus administratif. C’est une quête existentielle. Un combat pour être reconnu, pour exister aux yeux de l’État. Et dans cette cour poussiéreuse, sous un ciel implacable, c’est un combat qui se joue à armes inégales.
Fatimatou Diallo