Dr Thierno Bah, médecin et directeur général de l’Institut général de formation et prévention intégrée contre la drogue et autres conduites additives, relevant du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, insiste dans cette interview accordée à lindependant.org sur la nuisance de cette drogue dénommée « Kush » en Guinée.
Lindependant.org : La drogue « Kush » est actuellement sur la sellette dans notre pays. Pouvez-vous nous dire un peu plus sur sa composition chimique ?
Dr Thierno Bah : L’histoire de cette drogue. « Kush » est partie des variétés de plantes principalement afghanes, le nom provient d’une chaine de montagnes qu’on appelle « indiKush ». Il y avait des variétés de kush qui existaient en Afghanistan qui portaient le même nom, mais cette Kush là n’a rien avoir avec ce qu’on consomme aujourd’hui en Guinée. Celle qui est consommée ici provient de la Sierra Leone, c’est un mélange de matières végétales, de feuilles de cannabis écrasées et réduites en poudre, avant d’être mélangées avec des produits chimiques comme l’acétone.
L’acétone est composée de carbone, d’hydrogène et d’oxygène. Quand ce produit (acétone) plus des feuilles de cannabis écrasées est consommé, il modifie le fonctionnement de l’organisme. Elle fait des ravages chez les jeunes, ça se fume car elle coute moins cher, c’est une drogue qui supplante d’autres drogues comme le Tramadol dans notre pays.
Lindependant.com : Parlez-nous de ses signes cliniques. Quels sont les symptômes décelables chez un jeune qui consomme cette drogue ?
Dr Thierno Bah : La personne devient très agitée, paranoïaque, a des hallucinations, est euphorique ou, au contraire, on remarque chez elle l’abattement, la prostration, les troubles du sommeil. Quand le sujet consomme cette substance « Kush », il y a une baisse de taux d’oxygène dans le sang, et la personne a des difficultés respiratoires. Quand vous touchez la personne, elle dégage beaucoup de sueur mais sa température corporelle baisse. On respire l’oxygène chaque seconde et on rejette le CO2. Quand on consomme ce mélange (cannabis et l’acétone) qui est un produit chimique toxique, on perd plus d’oxygène et on absorbe le CO2. C’est pourquoi, ils feront beaucoup d’efforts pour pouvoir respirer.
Lindépendant.org : Que peut-il se passer ensuite ?
Dr Thierno Bah : Avec le problème de respiration, le sujet cherche à absorber l’oxygène mais il a des difficultés parce qu’il y a une substance qui agit sur le système nerveux central qui fait que la langue s’enfonce. Quand il ouvre la bouche pour respirer, la langue devient lourde et s’enfonce en obstruant les voies aériennes supérieures, raison pour laquelle ils sont souvent victimes d’asphyxie. Une fois à l’hôpital les médecins utilisent des pinces chirurgicales pour tirer la langue. Parfois c’est ce qui fait que langue est fissuré, déformée. Bref, tout cela peut provoquer la mort par asphyxie. Voilà pourquoi cette drogue et dangereuse, en plus il y a de troubles psychiatriques que la personne va présenter. Il y en a même qui se suicident ou se donnent la mort.
Lindependant.org ; Comment peut-on sauver une victime dans un endroit isolé ?
Dr Thierno Bah : C’est très compliqué, si vous avez un consommateur de Kush en face, vous êtes désemparé, il est très agité. Une seule personne ne pourra pas l’arrêter, si vous avez vu les images et si vous n’avez pas la formation en situation d’urgence. Ce qu’on peut conseiller, c’est de le mettre en position latérale de sécurité, tu soulèves la nuque pour pouvoir ouvrir la bouche et tirer la langue. Mais si la personne ne connait pas ça, c’est mieux de l’amener dans un centre de santé le plus proche et le plus vite que possible. Là, on va lui administrer des tranquillisants.
Lindependant.org : Qu’est-ce que votre institution fait pour lutter contre ce phénomène ?
Dr Thierno Bah : L’institut Itinérant de formation et de prévention intégrées contre la drogue fait partie de 18 institutions d’enseignement supérieur : d’abord nous nous travaillons pour la réduction de la demande de drogue. En matière de lutte contre la drogue, la meilleure stratégie reconnue partout : c’est la réduction de l’offre qui est la répression. Cette répression est confiée aux forces de défense et de sécurité, c’est à dire : la police, la gendarmerie, la douane et la justice…
La réduction de la demande de drogue, c’est aussi tout ce qui est prévention, formation, la recherche et réinsertion sociale. Nous, nous évoluons au niveau de la prévention ; à ce niveau il y a trois types de prévention : la prévention première c’est sensibiliser ce grand public en vue de changer le comportement vis à vis de la drogue. La prévention secondaire, c’est mettre en place des dispositifs de prise en charge thérapeutique des usagers de drogue.
Lindependant.org : Vous menez aussi d’autres actions…
Dr Thierno Bah : On a aussi répertorié des établissements de prise en charge. L’année prochaine nous allons mettre en place des structures de prises en charge parce qu’aujourd’hui en Guinée, on n’a pas de service de prise en charge de drogue, sauf au niveau des ONG qui les mettent en place, mais dans le service public, ça n’existe pas ; malheureusement depuis 7 ans.
On a le service psychiatrie de Donka où on peut mettre un service d’addictologie (ou de désintoxication) ; c’est-à-dire une unité de prise en charge. Au mois de novembre 2022, notre pays et plusieurs pays Francophones de l’Afrique de l’Ouest avions fait appel à l’office des Nations Unies pour la lutte contre la drogue. Pour cette question de prise en charge thérapeutique des usagers de la drogue. Mais comme vous le savez, mettre cette politique-là demande des ressources humaines importantes : il faut former des médecins sur les thématiques de la drogue et sur la prise en charge des drogués.
Lindependant.org : Peut-on savoir le nombre de victimes de cette drogue à Conakry et à l’intérieur du pays ?
Dr Thierno Bah : Aujourd’hui nous avons 10 décès ; le dernier c’était le 31 décembre 2022, et 11 rescapés. L’âge moyen de consommation est de 17 ans. Aujourd’hui, sur environ 44,4% de consommateurs, les tranches d’âge varient entre 17 à 21 ans.
Entre septembre et décembre 2022, il y a une admission de 18 cas de Kush au CMC de Matam. Quand nous avons fait le constat, on est parti vers les centres de santé à proximité du débarcadère pour leur dire de faire attention à cette nouvelle tendance de drogue.
Nous voulons un recueil de données. Les trois (3) premiers décès, c’était dans les débarcadères et les quartiers environnants (Boussoura). Les 5 autres, on les a retrouvés à Wanindara, la base militaire (aviation), à Kaloum et Dixinn. Donc si les gens sont dissuadés de venir se traiter quand ils ont pris la Kush, ils vont mourir dans les quartiers.
Lindependant.org : Votre dernier mot…
Dr Thierno Bah : Je lance un appel à toutes les structures sanitaires de ce pays, les usagers de la drogue ont droit à la santé. C’est un problème de santé public et d’urgence, s’ils viennent à l’hôpital, c’est de ne pas les orienter vers la police ou de la gendarmerie, sinon les gens vont mourir dans les quartiers, c’est que nous sommes en train d’observer en ce moment.
Notre souhait est que les jeunes s’éloignent de cette drogue, c’est une drogue mortelle, elle tue. On demande aux parents d’être très vigilants, si vous avez un fils qui change son comportement social, il faut appeler l’institut pour qu’on puisse vous aider.
Propos recueillis par Alpha Amadou Diallo