Ecrivain, historien, ancien ministre de la culture, Aly Gilbert Ifono a publié dans la presse un article d’opinion pour recadrer le débat autour du masque N’mba (Nimba ou Ndimba), emblématique de la culture baga. Cet extrait intéressant, choisi par lindependant.org, indique l’importance de ce masque fascinant. Sans fioriture. Lisez…
« (…)C’est en 1615 que le masque D’mba a été décrit pour la première fois par l’explorateur portugais Manuel Alvarez.
Le tout premier dessin du D’mba est apparu en 1886 sous le crayon du marin Coffinières de Nordeck, un habitué des côtes du Kakandé.
Par sa beauté et la finesse de ses lignes se mariant parfaitement avec les conceptions de l’art contemporain, le masque D’mba envoûta des artistes occidentaux du début du XXe siècle, en l’occurrence Pablo Picasso, Matisse, Giacometti, Henry Moore, etc.
Mais de tous, Picasso fut le collectionneur le plus célèbre à posséder le premier, un exemplaire original du D’mba en 1925.
C’est ce masque D’mba qui est à l’origine de la série des portraits monumentaux qu’il a dédiés à son épouse Marie-Thérèse Walter, portraits directement inspirés du masque baga.
Par de-là l’intérêt suscité par le masque D’mba auprès des grands artistes-peintres, photographes et autres sculpteurs et décorateurs occidentaux, il faut noter qu’en Guinée-même, un fait apparemment banal va constituer les fondements de la promotion fulgurante de cette pièce muséale.
En effet, rapporte Mamadou Baïlo Traoré, un sculpteur du Bagataye, un D’mba qui aurait été offert au début de l’indépendance au Président Ahmed Sékou Touré par les autorités de la région de Boké, aurait été dérobé et revendu hors des frontières guinéennes.
En visite au Japon, le Président Ahmed Sékou Touré qui connaissait bien son patrimoine, l’aurait retrouvé exposé dans une foire internationale à Tokyo.
Revenu en Guinée, il aurait réclamé son D’mba au Commissariat de l’exposition par voie diplomatique.
Plus d’une quinzaine de spécimens lui furent présentés, mais en vain, parce que tous étaient des contrefaçons.
Ahmed Sékou Touré, le très exigent propriétaire, a tenu à son masque authentique qui lui fut finalement restitué.
Cette réaction du Chef de l’État qui n’est ni plus ni moins qu’un protectionnisme culturel avéré, a constitué à n’en pas douter, une valeur ajoutée certaine, faisant ainsi du masque D’mba, la meilleure pièce sculpturale des objets d’art de la République de Guinée.
Depuis lors, ce masque est entré dans nos mœurs.
Comme pour dire que tout geste du premier magistrat de la Nation est contagieux.
Si aujourd’hui le port du textile guinéen est devenu populaire c’est bien parce que le président Alpha Condé en avait donné le ton.
Ainsi, on pourrait citer en exemple, les actes publics et privés ci-après inspirés du geste hautement symbolique du Président Ahmed Sékou Touré :
– Au début de l’indépendance, la Représentation permanente de la République de Guinée aux Nations-Unies, a fait don à l’Institution planétaire d’un imposant masque original du D’mba qui, jusque dans les années 1980, ornait l’un des halls du Palais de verre de Manhattan:
– Pour illustrer le billet de 5000 f de notre monnaie nationale, la République avait choisi une image du D’mba (Nimba).
Soit dit en passant, ce billet en était la plus grosse coupure.
– A Sèkhoutouréyah, au temps du Président Alpha Condé, le D’mba trônait toujours à côté de lui dans le salon privé, là où il recevait ses hôtes de marque.
C’était l’unique pièce d’art plastique remarquable dans le décor lors des audiences :
– De nos jours, avec le colonel Mamadi Doumbouya, le D’mba est bien visible à côté du pupitre, lors de ses adresses à la Nation :
– La BCRG utilise le D’mba comme logotype.
Elle le fait reproduire sur ses gadgets destinés à ses clients ainsi qu’à ses hôtes de marque ;
– La RTG également utilisé le D’mba comme générique de son journal télévisé ;
– Le ministère de l’Économie et des Finances a illustré des timbres fiscaux à l’image du D’mba ;
– Le ministère de postes et télécommunications aussi, a souvent édité des timbres-poste et des cartes postales à l’effigie du D’mba ;
– Le masque D’mba est utilisé comme logo au ministère de la Culture, du tourisme et de l’Artisanat, notamment au portail du Musée national et dans la cour du département ;
– La carte d’identité biométrique nationale ainsi que la page de garde du passeport biométrique national portent l’image du D’mba au ministère de la Sécurité et de la Protection civile ;
– Au jardin du 2 octobre se dresse un imposant masque D’mba en génie protecteur de nos enfants qui y vont apprendre les premières notions du savoir ;
– Au rond-point du Palais du peuple, est érigé un D’mba géant en sentinelle mystique des entrées et sorties de la Commune de Kaloum, centre administratif et des affaires du pays ;
– Dans les bijouteries du pays, le D’mba est l’élément le plus reproduit,
– Dans les ateliers de nos sculpteurs, c’est encore le D’mba qui domine les représentations ;
– Dans les boutiques d’hôtels et à l’Aéroport international Ahmed Sékou Touré, foisonnent des spécimens du masque D’mba à l’intention des touristes et autres voyageurs ;
– Le D’mba est rarement absent des cadeaux-souvenirs offerts aux hôtes de marque de la République.
Ce sont là autant de références qui, de facto , ont fait du masque D’mba, le symbole de la Culture nationale, sans l’avis ni des chrétiens, ni des musulmans encore moins des Baga qui en sont les créateurs.
De ce qui précède, il est à se demander où étaient les fameux défenseurs du puritanisme musulman, quand le Président Sékou Touré, musulman de son état, réclamait le masque et par la suite quand nos institutions républicaines ou nos concitoyens continuèrent à utiliser librement le D’mba comme emblème sans la moindre réaction de leur part ?
Pourquoi avoir attendu plus de 60 ans pour sortir du bois et dénoncer l’usage du D’mba comme logotype de la République de Guinée ? » (…)
Aly Gilbert Ifono
Ps : El Hadj Mansour Fadiga, et dans son sillage plusieurs internautes, ont parlé « d’idolâtrie » en faisant allusion au masque sacré des bagas, d’où la réaction d’Ifono.