Les derniers événements au Sénégal, émaillés de violences de rue, de destruction d’infrastructures dont des écoles, des stations d’essence et des magasins, d’incendie de bibliothèques d’universités, invitent à la réflexion dans une zone d’Afrique de l’Ouest, harcelée par les djihadistes et convoitée autant pour ses richesses (pétrole, gaz, or, uranium, bauxite, diamants, etc) que pour sa position stratégique.
Ces événements n’auraient sans doute pas été aussi dramatiques s’il n’y avait pas eu une quinzaine de morts, de très nombreux blessés – dont des membres des forces de l’ordre – et si dans les rues de Dakar, des individus encagoulés n’avaient pas été aperçus avec des armes de guerre qu’ils n’ont pas hésité à utiliser.
Dans cette chienlit qui a duré au moins 2 jours, des intellectuels sénégalais comme l’écrivain Boubacar Boris Diop, l’économiste Mamadou Felwine Sarr, ou le prix Gongourt 2021, Mohamed Mbougar Sarr, ont signé une tribune commune pour fustiger les velléités de confiscation du pouvoir par l’actuel président sénégalais Macky Sall, en poste depuis 2012.
Au demeurant, dans ce méli-mélo, en se fondant uniquement sur les faits, il sera très difficile d’imputer toute la responsabilité de la situation à un seul camp.
Le président Sall est certes pointé du doigt pour avoir systématiquement trouvé des subterfuges pour écarter ses opposants les plus significatifs (Ndlr : Khalifa Sall et Karim Wade notamment) depuis le début de son règne commencé il y a 11 ans, sur les cendres du régime d’Abdoulaye Wade.
Ce même Wade, élu en 2000 puis en 2005, qui avait déclaré publiquement (tout comme Macky Sall actuellement) qu’il avait « verrouillé à deux » les mandats du président de la République du Sénégal et qu’il était impossible d’en briguer un troisième, avait voulu franchir le Rubicon en 2012, avant d’être stoppé net par les électeurs sénégalais…
A l’heure où nous écrivons ces lignes, le président Sall – qui sera sans doute là jusqu’en février 2024 – n’a pas dit officiellement qu’il est candidat, il n’a pas déposé sa candidature et le Conseil constitutionnel, seule institution habilitée à valider ou rejeter les candidatures n’en a reçu aucune pour se prononcer…
Il demeure tout de même constant, avec le « ni oui ni non » du président Sall, appuyé par les déclarations tapageuses des membres de son camp, et même avec les événements tragiques de la semaine dernière, qu’on est plus proche d’une éventuelle candidature de l’actuel chef de l’Etat sénégalais que d’un retrait (souhaitable) de la course pour 2024, après ses deux mandats (2012-2019 et 2019-2024).
L’ambigüité entretenue à dessein sur la valeur de son premier mandat de 7 ans (Ndlr : un article de l’actuelle constitution sénégalaise prescrivant expressément que « le mandat du Président de la République est de 5 ans renouvelable une seule fois », avant de souligner que « nul ne peut exercer plus de 2 mandats consécutifs ») pose un problème éthique et moral qui pourrait impacter très négativement son image s’il s’accroche au pouvoir.
Quoi qu’il en soit, si cela était, pour avoir vu le peuple sénégalais réagir face à ce type de pirouette, et en dépit d’un bilan élogieux qu’il pourrait brandir durant ses années de pouvoir, la probabilité est très haute de voir le président Sall prendre la porte en se faisant éconduire « gentiment » par les électeurs, au cas où il déciderait de renier et sa parole et son serment.
Dans l’autre camp, celui d’Ousmane Sonko, il est regrettable que la « bien-pensance » ambiante, laisse passer des choses absolument inadmissibles et qui mettent en péril la sûreté de l’Etat sénégalais, découvreur récent de pétrole et de gaz, pour nous fixer sur les vrais enjeux.
Parce qu’à analyser de près l’attitude de l’opposant, avec ses appels répétés à l’insurrection et/ou à la « révolution », qui fixe le départ du président Sall comme principal point d’un programme diffus, on est en droit de se poser la question de savoir à qui on a affaire.
Il s’agit d’une personnalité qui veut briguer la magistrature suprême dans son pays sans s’entourer de précautions d’usage dans un contexte miné où toutes les erreurs se paient cash.
Les faits ont prouvé que, contrairement à ce que Sonko soutient, il s’est plusieurs fois rendu dans le salon de « massage » Sweet Beauty pour y entretenir des relations intimes avec une jeune fille de 20 ans, évidemment à l’insu de ses deux femmes.
A ce propos, une anecdote mérite d’être relatée ici. Les journalistes (Américains) avaient tendance à minimiser les frasques des hommes publics jusqu’à ce qu’un des membres les plus influents du Congrès américain (Ndlr : Wilbur Mills) se retrouve dans un bassin de Washington avec une strip-teaseuse à ses côtés, tout bleu dans son verre d’alcool.
A partir de là, les journalistes ont commencé à réaliser que la vie privée d’un homme public (qui plus est candidat potentiel à une élection présidentielle) ne relève plus du domaine privé. Un homme qui est capable de tromper sa femme qu’il connaît n’hésiterait pas à tromper tous les électeurs qu’il ne connaît même pas de vue. Ce n’est pas une question de moralité : c’est une question d’évaluation du caractère de l’individu.
Sonko a également affirmé, face caméra, détenir un rapport de l’Inspection général d’Etat (IGE), épinglant l’un des ministres de Sall, Mame Mbaye Niang pour ne pas le nommer, qui selon l’opposant, avait « détourné » 29 milliards de francs CFA. Convoqué par la justice, le fameux rapport n’a jamais pu être présenté et l’opposant s’en sortira avec une peine de 6 mois avec sursis (Ndlr : qui le rend déjà inéligible) et 200 millions de francs CFA d’amende…
En l’état actuel des choses, même en passant, sur les appels répétés à « déloger Macky Sall du palais », par la force et la rue (« Mortal combat »), même en ignorant les faits graves qui ont suivi ses déclarations, même en faisant l’impasse sur sa condamnation à 2 ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse », on voit mal comment le dossier de Sonko, sauf arrangement politique sur le dos des plaignants, pourrait être validé par la Cour constitutionnelle.
Oumar Camara