Pour ses proches et beaucoup de Guinéens, la triste nouvelle est malheureusement venue, ce mercredi 28 juin, entachée la Fête de l’Aïd-Al-Adha qui se voulait joyeuse malgré le très aigu contexte socio-économique du pays. La disparition physique de l’héroïne du combat sociopolitique des années 2006-2007 est un deuil national et pour cause.
Elle évoque le parcours singulier sinon exceptionnel d’une inspirée et courageuse fille Guinéenne originaire de Mamou où elle voit le jour un 31 décembre, celui de 1949 exactement.
En effet, la guerrière qui forme avec l’inébranlable feu Dr Ibrahima Fofana, le plus redoutable couple de lutte pour un régime Guinéen et que l’opinion nationale et internationale découvrent et admirent entre 2006-2007, est d’abord la première femme africaine dans l’histoire à accéder à la tête d’un syndicat national, celle de la CNTG (Confédération Nationale des Travailleurs de Guinée) où elle réussit à se faire élire Secrétaire Générale lors des travaux du Congrès tenu en février 2000 mettant ainsi fin à une exclusivité dite masculine.
Mais, que d’obstacles et d’entraves sur le long chemin avant la gloire pour la nouvelle Patronne de la CNTG. Si, j’ai connu la syndicaliste à travers son défunt époux, Elhadj Ibrahima Bah ( ancien Secrétaire Général du ministère de la Sécurité. Paix à son âme. Amen) qui était, c’est surtout grâce à Mme Chantal Colle que j’ai été proche d’elle et devenir ainsi un de ses Conseillers au CNT de 2010. Je voudrais cependant rendre hommage à la brave Dame avec la mémoire d’un journaliste.
La future épouse Bah a lentement gravi les échelons du monde associatif puis du syndicalisme dans son Mamou natal et puis partout où elle est passée en Guinée notamment Conakry, la capitale.
Au temps du Parti-Etat, sa régularité sinon son goût, dès l’enfance, pour les réunions hebdomadaires obligatoires de quartier les vendredis soirs a cultivé l’esprit de leadership en elle.
En 1969, alors qu’elle n’avait que 19 ans, elle brigue sans succès un poste de membre au bureau exécutif lors du 2ème Congrès de la Confédération Nationale des Travailleurs de Guinée. Même si les mentalités en ces années 60 -70 n’étaient pas prêtes à voir une femme accéder à un poste dirigeant, la jeune fille ne se décourage point et continue à militer au sein des instances politiques de l’époque notamment au comité directeur de la JRDA du PDG-RDA de sa localité et se donne le temps pour faire ses preuves et accéder à d’autres responsabilités que celles traditionnellement dévolues aux femmes.
Ainsi, 31 ans après l’échec de 1969 elle accède au poste de Secrétaire Générale de la CNTG en 2000 et s’attèle à réorienter la direction de la principale organisation syndicale des travailleurs de Guinée notoirement infondée au Pouvoir en place vers la défense exclusive des intérêts de ses 60 000 affiliés de l’époque. Noble et fédérateur combat qui lui voue la sympathie des adhérents, voyant en elle la personne idéale pour faire bouger les lignes sur les éternelles et stagnantes revendications salariales.
Mais, la Secrétaire Générale de la CNTG ne se fait réellement écouter par le régime du Général Lansana Conté qu’après le mariage syndical avec le Secrétaire Général de l’USTG, Dr Ibrahima Fofana.
Ainsi, le couple ou le duo Hadja Rabiatou Serah Diallo – Dr Ibrahima Fofana en harmonie avec 2 autres centrales syndicales de taille moyenne devient le véritable contre pouvoir Guinéen dans lequel les populations se reconnaissent dorénavant, en ces moments tout au moins.
Ainsi, en 2006, de la défense de la cause des travailleurs, les revendications se généralisent et portent désormais sur l’amélioration des conditions de vie du Guinéen tout court.
En cette année de crise alimentaire mondiale ( à cause de la faible quantité des stocks céréaliers tombés à leurs plus bas niveaux depuis plus de vingt ans face à la demande plus croissante et du déficit de la production céréalière mondiale) provoquant une forme de famine jamais connue depuis l’avènement du Général Lansana Conté au pouvoir en 1984, amenant des groupes de jeunes à s’attaquer aux convois de riz dans les rues de Conakry et en pleine journée, le duo lance la première grève générale qu’ait connue la Guinée, en protestation contre la dégradation des conditions de vie des populations. Ce fut un véritable succès, car suivi partout en Guinée, qui éclipse les leaders politiques traditionnels et met en relief la figure emblématique de Hadja Rabiatou Serah Diallo et de Dr Ibrahima Fofana.
Leur combat devient totalement politique quand le Président Lansana Conté, souffrant, s’illustre dans 2 actes qui ne laissent aucun doute sur son état de santé :
– En revenant partiellement d’abord sur un décret par le retour au ministère des Transports de Alpha Ibrahima Keira que le Ministre chargé des affaires présidentielles et contrôleur des actions gouvernementales de l’époque, Elhadj Fodé Bangoura avait fait limoger en même temps qu’Aboubacar Sylla qui lui a été remplacé au ministère de l’information
– En allant personnellement faire sortir de la maison centrale d’arrêt de Conakry où ils étaient détenus son ami Elhadj Mamadou Sylla, Président du Groupe Futurelec et Elhadj Fodé Soumah, ancien vice-gouverneur de la BCRG, tous 2 accusés, à tors ou à raison, dans un scandale financier jamais élucidé de 22 millions de dollars, d’abord par Cellou Dalein Diallo quand il était Premier ministre en 2005 – 2006, ensuite par Elhadj Fodé Bangoura, leur geôlier.
Ces 2 actes du Général Lansana Conté, intervenus dans le contexte de crise sociopolitique, de réclamations salariales insatisfaites, radicalisent davantage les leaders syndicalistes qui déclenchent le 10 janvier 2007, une grève générale illimitée sur toute l’étendue du territoire. Les partis politiques se joignent au mouvement et demandent la démission du Président Lansana Conté.
Arrêtés et vite libérés, le 22 janvier, sous les pressions nationales et internationales, les leaders syndicaux ne désarment pas.
Accusée par quelques rares soutiens du Pouvoir de vouloir mettre le feu, Hadja Rabiatou Serah Diallo a eu cette belle formule à l’époque : « Je suis femme et mère de six enfants et quand je mets le feu, c’est sous la marmite, pour nourrir mes enfants. Mais en Guinée, la marmite est vide, cest ce qui met le feu au pays».
Elle refuse également de céder aux tentatives menées ici et là, notamment par des commerçants accrochés à leurs intérêts, de la séparer de Dr Ibrahima Fofana et crache à la figure des manipulateurs du régime : » Hadja Rabiatou Serah Diallo égale Elhadj Ibrahima Fofana, Elhadj Ibrahima Fofana est égal Hadja Rabiatou Serah Diallo, même père, même mère, nous sommes des jumeaux, des frères siamois inséparables même par les plus grands spécialistes de la chirurgie « .
Courageux, déterminés, engagés à la limite du suicide, les 2 continueront le combat en résistant, Patriotes qu’ils sont, à toutes les tentatives de diversion, d’intimidation ou de corruption.
À l’époque, le pays est à bout, le Général Lansana Conté, malade, et son régime en dépérissement, Dr Ibrahima Fofana et Hadja Rabiatou Serah Diallo prennent le relais de la classe politique, font descendre les travailleurs et les populations dans la rue et finissent par contraindre, pour la première fois en 20 ans de pouvoir, le Président Lansana Conté, à défaut de la démission, à accepter un gouvernement de transition sous la conduite d’un Premier ministre, Chef du Gouvernement proposé par le mouvement de contestation ( Syndicat et Société civile) en février 2007. Ils sont les héros de ce combat décisif dans le destin politique de la Guinée.
Et c’est Hadja Rabiatou Serah Diallo, à la demande de son amie Première Dame, feue Henriette Conté, qui mentionne le nom de Lansana Kouyaté sur la liste des 4 nominés.
Mais, ironie du sort, passé le temps de l’état de grâce avec la formation du gouvernement de consensus comportant certains de ses lieutenants ( Amadou Diallo, actuel secrétaire général de la CNTG à la fonction publique), autour de son propre choix, la Secrétaire Générale de la CNTG se manifeste dans l’adversité résolue contre Lansana Kouyaté.
Pour faire partir ce Premier ministre, elle rejoint le front contre Lansana Kouyaté et va jusqu’à renouer avec ceux qu’elle a véhément combattu comme Elhadj Mamadou Sylla, Alpha Ibrahima Keira et d’autres déterminés à couper la tête du futur leader du PEDN.
Après le limogeage de Lansana Kouyaté, en mai 2008, ses éléments sont maintenus dans le gouvernement dit de large ouverture sous la coupe d’Ahmed Tidiane Souaré, nouveau Premier ministre, Chef du Gouvernement.
Elle se montre un soutien de ce Gouvernement jusqu’à sa chute après le décès du Président Lansana Conté, le 22 décembre 2008 renversé par le coup d’état du capitaine Moussa Dadis Camara.
Avec les forces vives, elle participe aux interminables et ennuyeuses discussions initiées par le Président du CNDD.
À la suite du massacre du 28 septembre 2009 et du départ en exil médical du capitaine Moussa Dadis Camara vers le Maroc puis le Burkina-Faso, en décembre 2009, Hadja Rabiatou Serah Diallo est l’une des candidates des Forces vives à la Primature qui échoit finalement au leader de l’UPG, Jean Marie Doré.
Elle est finalement nommée le 8 février 2010, Présidente du Conseil National de la Transition (CNT), par le nouveau Président de la Transition, le Général Sekouba Konaté.
À ce titre, elle est la Mère des textes et lois de 2010 notamment la Constitution de 2010, la loi créant et définissant les attributions de la Haute Autorité de la Communication (HAC) et bien d’autres.
Il faut noter que c’est son Autorité personnelle qui a pesé lors des débats autour de la Constitution en faveur de la non fixation ou inscription de l’âge limite des candidats à la Présidence de la République. Cette prise de position publique en séance plénière aura ainsi permis au leader du RPG, Alpha Condé de « triompher » à distance contre ceux qui voulaient fixer l’âge limite à 70 ans, de candidater pour la présidentielle du 27 juin 2010 ( il y a 13 ans jour pour jour avant le décès de Hadja Rabiatou), d’être élu Président de la République à l’issue du second tour de tous les marathons, le 07 novembre 2010 et installé le 22 décembre 2010.
L’opinion retiendra de la Présidente du Conseil Économique et Social ( sa dernière fonction) l’âme d’une femme de caractère, patriote combative pour l’intérêt national mais très sensible parfois face à des causes tordues par la manipulation des groupes d’intérêt. La perfection n’est pas humaine.
VEUILLE ALLAH, NOTRE CRÉATEUR, l’accepter dans son éternel Paradis. Amen
Abdoulaye Condé, journaliste