Saran Cissé, militante d’un des partis politiques qui avaient appelé à la mobilisation contre la candidature du candidature du capitaine Moussa Dadis Camara, à l’époque chef de la junte militaire au pouvoir en Guinée, a raconté son calvaire au stade de Dixinn, et qui s’est poursuivi dans sa tentative d’échapper à ses bourreaux le 28 septembre 2009.
Mme Cissé a expliqué comment elle s’est retrouvée au stade du 28 septembre dans le cadre de la manifestation pacifique contre les militaires au pouvoir, quand des coups de feu ont éclaté.
« C’était la panique. J’ai essayé de sortir par la grande porte, malheureusement j’ai pas pu (…) Je suis retournée à l’enceinte du stade. Je suis venu à côté des leaders, j’ai vu que là-bas aussi ça n’allait pas. Ils m’ont dit qu’il y a une petite porte vers l’université Gamal Abdel Nasser (…) Là aussi je suis venue, j’ai trouvé qu’il y avait les fils de courant (électrique) qui étaient par terre donc quiconque vient tout le monde tombait par terre (…) Là aussi j’ai eu peur et je suis retournée encore à l’enceinte « , a dit Cissé dans son récit.
La victime ajoute qu’elle a trouvé du côté d’un mur un journaliste qui aidait les femmes à escalader l’obstacle pour échapper aux hordes d’assaillants.
« J’ai trouvé deux jeunes qui m’ont aidée à grimper. Le jeune qui me tenait, il lui ont tiré (une balle) sur le front et il est tombé (à l’intérieur du stade). Moi, je suis tombée de l’autre côté dans un magasin en réparation. Il y avait des briques et du ciment qui étaient là. J’ai commencé à saigner de l’oreille droite (…) Je suis restée là-bas, j’étais couchée », a expliqué cette femme, précisant qu’elle était à son sixième jour de ramadan.
Par la suite, Mme Cissé affirme qu’elle a été découverte par deux policiers qui lui infligé toutes sortes de sévices, avant de l’abandonner sur place.
« Ils (les deux policiers) m’ont fait ce qu’ils veulent »
« J’ai vu deux policiers venir vers moi. J’ai dit au premier, tu peux me tuer mais ne me fais pas du mal. Il dit « non je ne vais pas te tuer mais je vais te donner un cadeau que tu ne vas jamais oublier ». Je dis si le Bon Dieu accepte mais n’oublie pas je suis à jeun, au sixième jour du ramadan (…) si tu me fais du mal Dieu va te payer. Après l’autre est venu, il m’a giflé. Ils m’ont violentée, ils m’ont fait ce qu’ils veulent. Ils m’ont laissée là-bas couchée jusqu’à 17 heures… »
Par la suite, elle a voulu sortir du lieu où elle avait été abandonnée par les deux policiers « parce que la Croix Rouge venait ramasser les corps et les blessés ».
Mme Cissé a expliqué qu’elle a trouvé deux pickups d’hommes en tenue alignés formant deux rangées qui se trouvaient au dehors. « Quand tu es un jeune, on t’obligeait à te déshabiller et à faire le reste du chemin à genoux pour monter dans les véhicules (…) Vers Landreah, il y a une femme policière qui a pris son caoutchouc pour commencer à me frapper. Il y a un autre militaire qui est venu, on lui disait « capi » qui a demandé de me laisser tranquille, « la dame-là est complètement épuisée ». La policière me faisait monter (dans le pickup), le militaire me faisait descendre (…) Après, il nous a pris à trois : moi, une autre femme et un jeune : il nous a envoyé chez eux à Landreah. Il m’a demandé là où j’habite j’ai dit que j’habite Dixinn car j’avais peur de dire que c’était Gbessia ».
Par la suite, la dame et ses deux compagnons d’infortune vont rester protégés par la famille du militaire jusqu’aux environs de 19heures 30.
« Si mes amis vous retrouvent là, il peuvent casser la maison »
« Ses amis cherchaient à venir nous trouver dans la concession de sa maman (…) Il (Ndlr : le militaire) nous a dit d’essayer de rentrer. « Ma maman est vieille. Si mes amis vous retrouvent là, ils peuvent casser la maison. Il m’a accompagné jusqu’à Belvédère et il a demandé si je peux retrouver chez moi. J’ai dit oui. Il m’a laissé là-bas moi et la petite », a raconté cette victime devant une salle medusée.
Mme Cissé a poursuivi son récit, expliquant comment elle a pu échapper à d’autres pickups en se réfugiant dans le salon d’un homme qui priait et pourquoi elle est sortie de là.
« Comme le vieux qui priait est venu sans me saluer sans rien me demander, alors que je me trouvais dans son salon, j’ai eu peur et je suis sortie pour chercher à aller vers la maison de mon grand frère à la Casse », a-t-elle dit.
Mais la victime n’était pas au bout de ses peines. Elle sera rattrapée vers la Casse par d’autres militaires, alors qu’elle cherchait à joindre le domicile de son frère.
« Là, j’ai subi toutes sortes de violences. Ils m’ont pris et jetée en bordure des rails. Je suis restée là-bas. Il y a des jeunes qui sont sortis du quartier qui cherchaient comment rentrer chez eux. Certains d’entre eux disaient « elle est morte », d’autres disaient « elles est vivante ». Ils sont venus me prendre mais dès qu’ils ont vu les phares d’un véhicule, ils m’ont fait retomber là-bas », a raconté Mme Cissé.
Son calvaire va continuer même si la Croix Rouge est parvenue finalement à la retrouver sur place pour l’envoyer à l’hôpital dans des circonstances difficiles.
Entre des soins laborieux, de sérieux soucis de santé et des difficultés matérielles, Saran Cissé va réussir à sortir du pays pour se retrouver à Dakar où elle a été soigné dans un hôpital pendant 3 mois, grâce au soutien de l’Association des victimes parents et ami du 28 septembre 2009 (AVIPA).
Le terrible récit de cette dame courageuse va éveiller ces affreux souvenirs chez elle, au point qu’elle a fini par éclater en sanglots. Un moment difficile pour tous ceux qui suivaient ce témoignage choc, même pour les avocats de la défense qui n’ont pu poser plus de 5 questions.
Le 28 septembre 2009, au moins 157 personnes ont été tuées (Ndlr : dont plusieurs par balles) par des militaires, des gendarmes et des policiers et plus d’une centaine de femmes avaient été violées au grand stade de Dixinn, selon les chiffres officiels et de très nombreux témoignages.
La répression féroce s’était abattue après ce jour noir contre les opposants à Dadis Camara, semant un climat de terreur insoutenable dans leurs rangs.
Alpha Amadou Diallo