En Guinée, depuis le 24 novembre 2023, l’accès aux réseaux est restreint, sans aucune communication de la part des autorités de la transition. Interpellé sur cette situation lors du traditionnel briefing après le conseil ordinaire des ministres, jeudi dernier, le porte-parole du gouvernement et ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie Numérique a fait une déclaration qui a suscité de vives réactions au sein de l’opinion publique.
Le ministre Ousmane Gaoual Diallo a déclaré : « L’internet n’est pas un droit ». Il a ensuite assuré : « Ce n’est pas coupé, ça marche. Notre pays n’est relié que par un seul câble sous-marin. Ça, on ne va pas le répéter à chaque fois qu’il y a des problèmes. Il faut assumer certaines positions ». Or, depuis une semaine, les principaux réseaux sociaux, Facebook, WhatsApp, Instagram, TikTok, Telegram ainsi que YouTube ne sont accessibles aux utilisateurs guinéens par les VPN.
Dans cet extrait relayé par le site Africaguinee.com et d’autres médias privés de Guinée, nous nous intéressons à la phrase du ministre des Postes, Télécommunications et de l’Économie Numérique, porte-parole du gouvernement de la transition, Ousmane Gaoual Diallo, selon laquelle « internet n’est pas un droit ».
Cette déclaration du ministre est largement commentée et partagée sur les médias sociaux. Elle suscite une désapprobation totale chez plusieurs internautes guinéens. Mais au-delà, beaucoup d’observateurs estiment que le chef de département des Télécommunications en Guinée est passé totalement à côté de la plaque. Mais qu’en est-il de la réalité au-delà des simples commentaires.
L’internet est un droit reconnu par les Nations Unies
Pour vérifier la véracité de cette affirmation du ministre Ousmane Gaoual Diallo, nous avons entrepris des recherches sur internet, notamment sur Google. Nos premiers résultats sur la question, à savoir si l’accès à internet est un droit, sont tirés du site Ohchr.org.
En réalité, l’accès à internet est un droit fondamental reconnu par les Nations-Unies depuis 2012. Mais face à l’augmentation des atteintes portées à ce droit, le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU a haussé le ton.
Le 1er juillet 2016, le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU a adopté neuf projets de résolution au titre de la promotion et de la protection des droits de l’homme, y compris le droit au développement. L’un d’entre eux condamne sans équivoque les mesures visant à empêcher ou à perturber délibérément l’accès à l’information ou la diffusion d’informations en ligne et tout en invitant tous les États à s’abstenir de telles pratiques et à les faire cesser, comme on peut le lire sur le site Word 2013.lnk.
Le 26 Novembre 2019, au forum sur la gouvernance de l’internet organisé en Allemagne, le secrétaire général des Nations-Unies António Guterres a déclaré : « Connecter tous les peuples du monde d’ici à 2030 doit être notre priorité commune, non seulement pour le développement durable, mais également pour l’égalité des sexes ».
La population guinéenne de plus en plus connectée à internet
Selon les données de l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’agence des Nations-Unies pour le développement spécialisé dans les technologies de l’information et de la communication, le taux de pénétration d’internet en Guinée est passée de 2,2 % en 2010 à 28,8 % en 2019.
Deux ans après, le taux de pénétration de l’internet mobile est arrivé à 50,1% au 1er trimestre 2021. Ce qui porte cet indicateur à une hausse de 2 points entre les deux trimestres, selon l’Autorité de régulation des Postes et Télécommunications (ARPT).
Le nombre d’abonnements à internet mobile était de 6,921millions au 1er trimestre 2022. Comparativement au 4e trimestre 2021, cet indicateur a connu une progression de 0,4%. Ainsi, le taux de pénétration de l’internet en Guinée était de 52,9 % au premier trimestre 2022, selon l’ARPT.
Une sortie qui indigne l’opposition
Pour le coordinateur de la Cellule de Communication de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG), cette déclaration du ministre porte-parole du gouvernement relève de la contrevérité. Elle nie la réalité des coupures d’internet qui ont eu lieu en Guinée à plusieurs reprises, notamment lors des élections présidentielles de 2020 et du référendum constitutionnel de 2021 et récemment en juin et juillet 2023. « Ces coupures ont été dénoncées par des organisations de défense des droits humains, comme Amnesty International et Access Now, qui ont documenté les impacts négatifs sur la liberté d’expression, le droit à l’information, la participation démocratique et la sécurité des citoyens », a dénoncé dans une tribune Joachim Baba Millimouno.
En faisant cette déclaration, ce responsable de l’UFDG estime que le ministre des Postes, Télécommunications et de l’Economie Numérique ignore les besoins et les droits des utilisateurs d’internet, qui sont de plus en plus nombreux et diversifiés. « Internet est devenu un outil essentiel pour l’éducation, la santé, la banque et les finances, le commerce, la culture, l’innovation, l’émancipation et l’inclusion. En niant l’importance d’internet, le porte-parole du gouvernement fait preuve d’un mépris pour les aspirations et les besoins des Guinéens, notamment des jeunes, des femmes, des personnes handicapées et des minorités », a-t-il ajouté.
Une déclaration autoritaire
Le Coordinateur de la Cellule de Communication de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) estime que cette déclaration du ministre Ousmane Gaoual Diallo reflète une volonté de la junte militaire au pouvoir de contrôler et de réprimer l’espace public numérique, qui est un lieu de débat, de contestation, de mobilisation et de résistance. « En affirmant que l’internet n’est pas un droit, le porte-parole du gouvernement suggère que l’accès à internet est un privilège accordé ou retiré par le pouvoir, et non pas une garantie constitutionnelle ou internationale. Il se place ainsi en opposition avec les principes de l’ONU, qui reconnaissent que l’accès à internet est un droit humain fondamental et que les coupures d’internet sont une violation du droit international des droits humains », a poursuivi M. Millimouno.
Méconnaissance du Droit international
Sur les propos du ministre Ousmane Gaoual Diallo, Fabien Offner, chercheur Senior à Amnesty International, bien que prudent sur cette déclaration, estime que cela relève de la méconnaissance du droit international par le porte-parole du gouvernement guinéen de la transition. « Si M. Ousmane Gaoual Diallo a effectivement déclaré que ‘l’internet n’est pas un droit’, il s’agit là d’une méconnaissance du droit international, comme l’ont d’ailleurs fait remarquer de nombreuses personnes en Guinée récemment », a-t-il confié à Africaguinee.com lors d’un échange suite à cette sortie du ministre.
« Certes, ajoute le chercheur, il n’existe pas de droit à l’internet formulé tel-quel de façon explicite dans un traité international contraignant, mais dans les faits, le droit d’accès à internet est reconnu comme faisant partie de la “famille” plus large du droit à la liberté d’expression ».
Et de souligner : « Par ailleurs, dans le contexte actuel en Guinée, il est évident qu’on ne parle pas de citoyens qui manifestent dans les villes et villages pour réclamer l’accès à un réseau Wifi, mais bien de coupures d’internet et de restrictions d’accès aux réseaux sociaux fréquents et inexpliqués, dans un contexte plus large de brouillages des fréquences de certaines radios, et d’impossibilité d’accès à certains sites d’information ».
La liberté d’expression et l’accès à l’information sont des droits fondamentaux protégés par des normes et instruments internationaux, parmi lesquels la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. « La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) a développé ces dernières années plusieurs normes, principes et autres résolutions sur le sujet qui ne souffrent d’aucune ambiguïté. La CADHP a par exemple adopté en 2019 une « DÉCLARATION DE PRINCIPES SUR LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ET L’ACCÈS À L’INFORMATION EN Afrique ». Le Principe 38 sur la non-ingérence formule ainsi que « Les États ne tolèrent pas et ne s’impliquent pas dans l’interruption de l’accès à Internet et à d’autres technologies numériques ciblant des segments de la population ou une population toute entière », rappelle le chercheur.
Deux Etats ouest-africains condamnés par la Cour de la justice de la Cédéao
Concernant l’Afrique de l’Ouest spécifiquement, des décisions très claires ont été rendues par la Cour de la justice de la Cédéao à ce sujet. « La Cour a ainsi jugé en 2020 que l’État du Togo avait violé les droits de ses citoyens à la liberté d’expression en coupant internet, et l’a condamné à payer des réparations et à prendre des mesures pour que cette situation ne se répète pas. Une décision similaire a été prise tout récemment au sujet de la Guinée, à la suite d’une plainte déposée par des ONG concernant des coupures d’internet en 2020 sous Alpha Condé. Nous attendons de prendre connaissance de la décision qui n’a pas encore été publiée », a souligné le chercheur Fabian Offner.
La clarification du ministre sur ses propos
Face à la controverse suscitée par cette sortie, le ministre porte-parole du Gouvernement a apporté des clarifications sur sa déclaration. Ousmane Gaoual Diallo regrette de constater que la quête d’un débat constructif peut être détournée à des fins de propagande. « Ma déclaration sur l’accès à Internet a été interprétée sans pleinement explorer le contexte. L’intention était de susciter une réflexion nuancée sur la distinction entre droits fondamentaux et services modernes. Plutôt que de formuler une affirmation catégorique, menons un débat constructif. L’accès à Internet est un service. Cela diffère des droits fondamentaux, qui sont généralement considérés comme inhérents à chaque personne », précise le porte-parole du Gouvernement dans une note transmise à Africaguinee.com.
Verdict
Au regard de toutes ces explications, l’on peut affirmer que la déclaration selon laquelle : l’internet n’est pas un droit’’ est erronée et ne repose sur aucun fondement juridique. Certes la justice guinéenne n’a jamais jugé un tel cas, mais des organisations dont la Guinée est membre, comme les Nations-Unies, ainsi que la CADHP reconnaissent l’accès à internet comme un droit.
(Source : Africaguinée)