Au Sénégal, le bras de fer après le report de l’élection présidentielle se poursuit. Des manifestations ont été dispersées par les forces de l’ordre, vendredi 9 février, dans plusieurs villes. Au moins deux personnes sont décédées.
Son décès a été annoncé ce samedi matin. Modou Gueye, 23 ans, originaire de Pikine, en banlieue de Dakara, est décédé ce matin à l’hôpital principal de la capitale. Le certificat de décès évoque une « mort accidentelle par arme à feu ». Mais d’après un membre de sa famille joint au téléphone, « un gendarme lui a tiré une balle dans le ventre » vendredi dans le quartier de Colobane. « Il ne participait pas aux manifestations, il était venu faire des achats », précise son beau-frère. À ce stade, les autorités n’ont pas communiqué.
Ce décès fait suite à celui d’Alpha Yero Tounkara, étudiant en géographie à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Selon un responsable de l’université, ce dernier est mort « des suites de blessures subies lors des manifestations ». Le parquet a ouvert une enquête pour déterminer les circonstances exactes de son décès. Dans un communiqué, ce samedi 10 février, le ministère de l’Intérieur affirme que « les forces de défense et de sécurité ne sont pas intervenues dans le campus où le décès est survenu. » Des représentants étudiants de Saint-Louis ont indiqué la reprise de la mobilisation à l’UGB « pour que justice soit faite » et que « la démocratie soit respectée ». Le syndicat national de l’Enseignement supérieur a pour sa part décrété un mot d’ordre de grève de 48 heures lundi et mardi.
Contactée ce samedi matin, la Croix-Rouge indiquait être en train de compiler les données de ses comités dans les différentes régions pour faire un bilan des affrontements de vendredi. L’ONG Amnesty International Sénégal fait quant à elle état ce soir d’un troisième décès, à Saint-Louis, qui ne serait pas directement lié aux manifestations, mais à un accident, celui d’un « motocycliste qui essayait de fuir le dispositif policier sur le pont Faidherbe ». L’organisation a par ailleurs recensé 221 arrestations vendredi sur tout le territoire.
Plusieurs associations de journalistes dénoncent de leur côté des violences ciblées des forces de l’ordre contre des consœurs et confrères venus sur le terrain couvrir les événements.
De son côté, l’Association des juristes sénégalaises prend aussi position. Dans un communiqué, elle parle d’un « tournant majeur et critique » pour le Sénégal et condamne une « répression violente et aveugle » des mobilisations. « Comme dans toute affaire de droits, nous attendonds les décision qui seront issues des recours. Il faut un respect du calendrier électoral et que nous puissions aller aux élections non pas en décembre mais à la date la plus proche possible, explique sa présidente, Aminata Fall Niang. Les violences nous ont profondément heurtées. Elles ont été perpétrées contre des populations qui avaient le droit de manifester, et notamment à l’encontre de journalistes femmes qui ont été violentées au vu et su de tout le monde. C’est une atteinte forte aux droits humains et surtout aux libertés des uns et des autres de s’exprimer. »
Dans ce contexte, des cadres de Alliance pour la République, le parti présidentiel, ont réaffirmé hier samedi 10 février lors d’une conférence de presse leur « total soutien » au président Macky Sall. Cheikh Bakhoum est directeur général de la société nationale Sénégal numérique, et membre de la « task force » de l’APR. Pour lui, la contestation est minoritaire. Il croit au dialogue annoncé par le chef de l’État : « Nous appelons tous les acteurs de se retrouver autour d’une table pour parler de l’essentiel, préserver la stabilité du Sénégal. » Il reconnait toutefois « des difficultés » dans cette stabilité, « quelques manifestations çà et là » mais estime que « la majeure partie de la population comprend » et appelle à « un autre dialogue ».
Macky Sall défend sa décision
Sur le plan juridique, quatorze candidats à la présidentielle ont déposé un recours devant la Cour suprême pour demander l’annulation du décret pris par le président Macky Sall pour reporter le scrutin. Parallèlement, des députés ont saisi cette semaine le Conseil constitutionnel contre la loi votée le 5 février à l’Assemblée et qui reporte l’élection au 15 décembre. Mais dans une interview accordée à l’agence de presse américaine AP et publiée ce samedi matin, le président Macky Sall défend sa décision de reporter l’élection. Il affirme « être tout à fait prêt à passer le relais », mais ne dit pas s’il accepterait ou non la décision du Conseil constitutionnel si celui-ci rejetait le report. « Il est trop tôt pour envisager cette perspective. Lorsque la décision sera prise, je pourrai dire ce que je ferai », explique-t-il.
Sur le plan international, les États-Unis, via leur ambassade à Dakar, ont une nouvelle fois appelé vendredi au « rétablissement du calendrier électoral ». L’Union européenne a de son côté appelé les autorités à « organiser l’élection le plus rapidement possible ».
Le collectif citoyen « Aar Sunu Election » (« Protégeons notre élection », en wolof) qui regroupe des mouvements de la société civile, des organisations religieuses et des syndicats, a d’ores et déjà prévu une mobilisation mardi 13 février. En attendant, la mobilisation se poursuit à l’étranger. C’est le cas en France où des rassemblements de la diaspora sont organisés ce samedi 10 février à Paris, Bordeaux, Grenoble, Rennes ou encore à Nice. L’appel a été relayé sur les réseaux sociaux de l’antenne France du Pastef, parti de l’opposition dissout en juillet 2023.
Source: Rfi