L’Etat, c’est l’autorité. L’autorité, c’est la respectabilité. La respectabilité, c’est la discrétion ou plutôt le secret –ne dit-on pas un secret d’Etat ?
La respectabilité, c’est aussi la courtoisie ou plutôt l’élégance, l’élégance dans le dire comme dans le port. On a beau chercher, on ne trouve aucune de ces qualités en ce qui concerne l’Etat guinéen.
De Sékou Touré à Mamadi Doumboua, ce qui caractérise nos hommes d’Etat, c’est l’arrogance, la fanfaronnade, le laisser-aller, bref, la vulgarité. Tout, même les secrets d’alcôve, tout, même les procès, se règle sur la place publique dans les meetings, sur les ondes des radios ou sur les écrans de télévision.
La dissolution du gouvernement que vient de décréter notre grand, notre très haut, notre très élevé Général d’armée en est l’illustration parfaite. Nos ministres (nous ne sommes pas là pour juger de leurs qualités personnelles, mais de leur valeur symbolique en tant que représentants de l’Etat) sont dégommés par voie de presse sans préavis, sans notification et, au vu et au su de tous, soumis à des vexations dignes d’un mougnati du marché Yenguéma.
Mesdames et Messieurs les Ministres sont vidés de leur logement. Leurs avoirs bancaires sont gelés, leurs gardes de corps et les clefs de leur voiture de fonction leur sont retirés, toujours au vu et au su de tous. Si Mamadi Doumbouya avait fait tout cela dans le plus grand secret, je n’aurais eu rien à dire.
C’est la preuve encore une fois que l’Etat guinéen n’a aucun sens du respect ni pour lui-même ni pour les autres Etats ni pour ses propres citoyens. Un ancien prisonnier m’a appris dans quelles conditions sont détenus Dadis Camara, Kassory Fofana et autres Damaro Camara.
Il paraît que ces personnalités qui ont représenté notre pays au plus haut niveau dorment par terre et sont à quatre par chambre. Encore une fois, il ne s’agit pas ici de défendre des gens qui ont certainement des choses à se reprocher mais de rappeler un principe observé par tous les gouvernements du monde : un ancien président, un ancien premier ministre, un ancien président de l’Assemblée nationale n’est pas un détenu comme un autre : même inculpé, même condamné, il mérite certains égards par respect justement de l’Etat qu’il a eu à incarner à un moment ou à un autre. En 1945, le Maréchal Pétain fut condamné à mort (puis gracié par le Général De Gaulle), mais c’est dans un château qu’il fut détenu.
A Dakar, Abdoulaye Wade, Idrissa Seck et Khalifa Sall ont tous connu la fameuse prison de Reubeuss, mais enfermés au quartier VIP avec une chambre à part, un lit confortable et une salle de bains aménagée aux normes. Il ne s’agit pas là de privilège, il s’agit d’un usage qui atteste de la notoriété de l’Etat.
Comment un président qui n’est pas même capable de traiter convenablement ses ministres, peut-il respecter ses citoyens ? En Guinée, pour des raisons historiques connues de tous, l’Etat n’est pas un système, c’est une personne dont les sautes d’humeur font office de règle et c’est là la source de toutes les dérives que nous observons dans ce pays. Le premier foutriquet qui arrive au pouvoir nomme et dégomme qui il veut, insulte qui il veut, arrête quand il veut, tue comme il veut.
Depuis 1958, ce ne sont pas des présidents, mais des roitelets ou plutôt des demi-dieux qui nous gouvernent et qui croient avoir droit de vie et de mort sur nous. Mettons-nous bien dans la tête que nos dictateurs ne cesseront jamais d’eux-mêmes de nous humilier, de nous voler et de nous réprimer. C’est à nous de les y obliger. C’est à nous de défendre nos droits, c’est à nous de préserver notre dignité ! Personne ne le fera à notre place.
Guinéens, arrêtons de fabriquer des monstres !
Celui qui veut nous diriger doit respecter nos vies, nos lois, nos ethnies, notre unité nationale, sinon qu’il aille se faire voir ailleurs.
Nous ne sommes les esclaves de personne.
Tierno Monénembo