Dans cet entretien accordé à lindependant.org, l’ancien ministre de l’enseignement supérieur et le recherche scientifique, Baïlo Teliwel Diallo, aborde plusieurs sujets : biométrisation des étudiants, augmentation de leur bourse, performance du système éducatif, suspension d’enseignants à Kankan etc. De toute évidence, l’homme semble avoir gardé toute sa verve en analysant les réformes annoncées dans le secteur de l’éducation.
Lindependant.org : La ministre de l’enseignement supérieur a engagé une réforme visant la biométrisation des données de tous les étudiants en République de Guinée. Comment réagissez-vous à cette initiative annoncée ?
Bailo Teliwel Diallo : Je ne vais pas rentrer dans une évaluation critique pour dire ce qui est bon ou pas. Ce que je peux dire, c’est que la trajectoire est bonne. Moi quand j’étais à la tête de ce département, l’un de mes premiers axes était de renforcer l’outil TIC dans le ménagement et dans le système de formation de l’enseignement sur tous les aspects de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et de même l’ensemble du système éducatif. Parce que je suis convaincu que c’est de cette façon là que nous pouvons progresser. Donc la biométrisation est une dimension qui a d’énormes avantages, à tout point de vue. Pour le suivi, la traçabilité, le parcours des étudiants et une meilleure maîtrise de l’environnement, des effectifs, des projections des évolutions, des orientations et des filières, il faut l’identification réelle des étudiants, pour des projections plus précises. La biométrisation permet d’intervenir sur des données précises, fiables et peu modifiables.
Lindependant.org : Il y a aussi le fait que gouvernement a annoncé l’augmentation des bourses des étudiants guinéens, sous réserve que ceux qui échoueront dans 5 matières en seront privés. Qu’en pensez-vous ?
Bailo Teliwel Diallo : Tout ça fait partie des mesures que l’on doit parvenir à mettre en place pour redresser le système et obtenir plus de qualité. Donc cela veut dire qu’on récompense la performance et l’effort. Je ne regarde pas du côté de ceux qui ont échoué. S’ils ne sont pas performants, je ne vois pas pourquoi il faut les récompenser. Mais cela incite plutôt l’ensemble des étudiants à éviter l’échec. J’aurais souhaité que personne n’échoue pour que tout monde puisse avoir accès à cette bourse. Ce serait en même temps la réussite de l’étudiant, du système éducatif, du centre de formation et de la société guinéenne.
Lindependant.org : Le ministère parle de test pour l’obtention de cette bourse. Quelle est votre opinion sur ce point précis ?
Bailo Teliwel Diallo : Ce système là évolue, ce n’est pas seulement en Guinée. Chaque pays est à la recherche de ce qui va amener plus de performance, plus de qualité, dans l’évolution des étudiants. Ce qu’on vise, ce n’est pas faire échouer ou de retirer des ressources à des jeunes qui en ont besoin. C’est de les amener à être encore plus performants. Dans le passé, au lycée, il y avait deux parties du baccalauréat. Il y avait aussi le concours. Il fallait réussir les deux parties et l’élève était d’ailleurs soumis à des épreuves orales et écrites. A l’université, la faculté de sciences sociales était celle qui était privilégiée pour la formation des enseignants à l’époque. Il vous fallait avoir la moyenne et quand vous ne réussissez pas deux ou trois matières, on les réservait et vous passez en classe supérieure. Mais l’année suivante vous reprenez encore la matière dans laquelle vous n’avez pas eu la moyenne pour pouvoir continuer vos études. Donc vous ne pouviez pas arriver à la fin de vos études avec un crédit. Dans beaucoup d’universités c’est comme ça que ça se passe.
Lindependant.org : Quel était l’intérêt d’un tel système ?
Baïlo Teliwel Diallo : C’est pour amener les étudiants, parents à cet objectif de réussite, de performance, d’excellence d’être les meilleurs. C’est à cause des différentes dérives accumulées au fil du temps qu’il y a eu des échecs massifs. Il faut que l’étudiant soit extrêmement performant sur le marché de l’emploi. Ils vont aller se confronter d’autres étudiants venus de tous les pays. Aujourd’hui on va vers la disparition des barrières sur la mobilité. Ils vont être confrontés dans les concours internationaux, dans les emplois internationaux à des étudiants formés à l’extérieur. Il faut qu’à l’issue de ce concours que la Guinée soit fière de ce qu’elle produit comme résultat. C’est pour toutes sortes de raisons, progressivement, que nous avons perdu ce genre de performances, cet objectif d’excellence.
Lindependant.org : Selon vous, qu’est-ce que nous avons concrètement perdu toutes ces années-là ?
Bailo Teliwel Diallo : Ça été tout un système qui a été démantelé. Je viens de faire un article qui examine l’évolution générale des réformes en matière d’enseignement depuis notre accession à l’indépendance. On a été, dès les premières années, extrêmement performant dans l’enseignement des sciences en maths, physique, chimie, biologie. La preuve est que quand un étudiant, pour une raison ou une autre, quitte la Guinée pour aller à Dakar ou Abidjan, il se retrouve dans les éléments de tête dans ces disciplines là. Et la plupart des professeurs des sciences au Gabon, au Sénégal et en Côte d’Ivoire sont des diplômés du système éducatif guinéen.
Après, il y a eu toute une série de réformes. Je ne dis pas qu’il y a de la malveillance, mais le résultat est là. C’est à ce niveau que nous avons été de moins en moins performants, ce qui explique que les autorités prennent des dispositions aujourd’hui. J’espère qu’elles vont réussir à remonter la pente, aussi bien en expression écrite ou orale, dans l’enseignement des sciences. Cela dit, le ministre Yéro Baldé, qui m’a remplacé, a introduit beaucoup de réformes que j’ai appréciées.
Lindependant.org : Est-ce que cette faiblesse peut-être liée au délaissement des parents ou la qualité de l’enseignement ?
Bailo Telivel Diallo : Le débat dans lequel on est m’intrigue. Pourquoi cherche-t-on des coupables ? Pourquoi on ne fait pas une analyse systémique, structurelle qui, au lieu de chercher c’est la faute à qui, voir plutôt le dispositif, les écarts, les faiblesses qui ne relèvent pas nécessairement de la volonté de l’un ou de l’autre, mais de la façon dont les éléments de performance sont organisés pour dire voilà les faiblesses du système ? Je ne vais pas noyer le poisson : il faut prendre la distance pour savoir qu’est-ce qu’on veut. La crise de l’éducation est une caractéristique générale des sociétés contemporaines. La seule chose que moi je peux dire, il faut qu’on apprenne à réfléchir par nous-mêmes, objectivement, à ne pas trop politiser les débats. Il faut consulter des pédagogues, des sociologues, des anthropologues, des économistes, des juristes pour bâtir petit à petit un système éducatif performant.
Lindependant.org : Des enseignants ont été suspendus à Kankan dans une affaire de corruption qui a permis à des élèves d’obtenir frauduleusement leur BEPC. Que pensez-vous de ce qui pourrait être un scandale si les faits sont avérés ?
Bailo Telivel Diallo : Je ne vais pas me prononcer sur ça. Le système, les cadres, le ministère et les autres acteurs ont été confrontés à une situation donnée ou apparemment de façon plausible il y a eu des cas de fraudes. Ils ont sanctionné la fraude. Pourvu que les fraudes s’atténuent, même si je ne pense pas que, dans aucun pays du monde, on puisse complètement mettre fin à la fraude. Il est nécessaire de maîtriser ces aspects, pour faire en sorte que les cadres et les élèves soient plus responsables, afin que chacun sache comment atteindre les objectifs souhaités.
Lindependant.org : On a l’impression que ce sont les mêmes pratiques partout à travers le pays. Quelles pistes des solutions envisagez-vous pour lutter contre cette pratique ?
Bailo Telivel Diallo : Encore une fois, il faut d’abord qu’on s’oriente non pas vers la recherche du coupable, mais sur la recherche des faiblesses du système. Si on recherche les faiblesses du système, au niveau des différents acteurs et des relations qui existent entre ces acteurs, si on fait cette analyse alors on pourra réduire les écarts entre ce qu’on vise et la réalité des choses. Ça peut porter sur les infrastructures, équipements, la formation des enseignants, la façon dont les parents participent à l’éducation des enfants, les subventions aux plus pauvres, la gouvernance globale, la part du budget affecté à l’éducation, la gestion de ce budget, les relations avec les partenaires techniques et financiers. Tous ces éléments, vous prenez n’importe lequel, vous trouverez des éléments des forces et de faiblesses. Alors réfléchissons pour savoir comment atténuer les faiblesses et renforcer les forces.
Lindependant.org : Est-ce que le faible budget alloué au secteur de l’éducation n’est pas aussi un frein pour le développement du système ?
Bailo Telivel Diallo : Je suis d’accord avec vous. Mais maintenant, quand je vois ces chiffres là, je pose deux choses. Dans un pays, qui a des retards profonds dans tous les domaines, l’analyse quantitative est intéressante. Donc j’ai toujours été plus attentif à la qualité de la dépense budgétaire qu’au volume du budget. Si le peu que nous avons nous le dépensions bien avec efficacité, et que ça ne soit pas en lien avec les autres budgets, alors en ce moment nous pouvons avancer. Tout le monde convient qu’un pays comme le nôtre et la plupart des pays de la sous-région se manifestent doivent donner la priorité à l’agriculture. Ça veut dire en ce qui nous concerne, priorité aux écoles nationales d’agriculture et d’élevage, l’Institut d’agriculture de Faranah et l’Institut de Dalaba. Mais aucun étudiant ne veut aller là-bas. Donc les propriétés c’est l’éducation. Prenez le budget de l’éducation à ce moment-là. Quand vous avez les 2/3 des étudiants qui font sciences sociales, économique et juridique, technique bancaire, droit international etc…. vous n’aurez que seulement 1/3 qui font les matières scientifiques et techniques. Ça veut dire que votre budget vous le dépensez pour former des diplômés qui n’auront pas d’emploi. Alors qu’il y a des secteurs où vous avez une formation adéquate avant que vous ne sortiez, vous avez un emploi. Donc ce n’est pas seulement un problème purement quantitatif.
Lindependant.org : Votre dernier mot ?
Bailo Telivel Diallo : Je vous remercie.
Propos recueillis par Aissatou Bah et Amadou Tidiane Diallo