Dans un procès historique, Mike Smith, un militant écologiste māori, a obtenu le droit de poursuivre en justice sept des plus grandes entreprises néo-zélandaises, pour les obliger à stopper leurs émissions de carbone.
« Kia ora ! » (Bonjour en māori) me lance Mike avec un grand sourire alors que sa tondeuse ronronne encore. Il coupe le contact, le visage en sueur. « Désolé, j’en ai profité pour faire le gazon aujourd’hui, car c’est notre premier jour frais depuis le début de l’été ».
Dans ce milieu de mars qui sonne la fin de l’été australe, les températures avoisinent encore les 30 degrés à Coopers Beach, l’une des régions les plus ensoleillées du pays.
« Même si notre pays s’appelle la ‘terre du long nuage blanc’, ici c’est presque les tropiques ! » plaisante Mike. L’activiste m’invite dans son « whare » -maison en māori, où à côté des sculptures en pierre de jade, sont encadrées plusieurs photos qui immortalisent 30 ans de militantisme pour le climat. « Ça, c’était en 1992, au premier sommet pour la terre à Rio de Janeiro. J’y étais comme un délégué indigène de Nouvelle-Zélande. C’est là qu’on a vraiment commencé à parler de changement climatique ».
Cet ancien militant de Greenpeace, personnifie la place de la Nouvelle-Zélande dans sa lutte pour l’environnement. « On a de la chance ici de vivre dans un pays où il y a peu de corruption et où nous pouvons être libres de s’engager si librement. Mais sans vouloir être gênant, nous avons eu aussi du terrorisme de la part d’un autre État. [NDLR: allusion au Rainbow Warrior, le bateau de Greenpeace, coulé par des agents de la DGSE en 1985]. Donc, nous avons aussi été attaqués dans le passé pour nos choix écologiques. Mais on ne peut pas céder à la terreur, la terreur, c’est le changement climatique ».
Aujourd’hui, Mike se lance dans l’ultime défi de sa carrière. Poursuivre en justice des géants de l’industrie néo-zélandaise, pour stopper leurs émissions de carbone. Des sociétés comme Z Energy (pétrolier), Fonterra (premier exportateur mondial de produits laitiers) et d’autres compagnies d’énergies fossiles sont concernés par ce procès historique qui devrait avoir lieu en 2026. « J’ai maintenant 67 ans, je me suis demandé quel dernier impact je pouvais avoir pour les générations futures ? J’ai fait d’innombrables campagnes dans ma carrière, mais cette fois, je me suis dit que saisir la justice était le bon choix ».
Après deux échecs devant les tribunaux, c’est finalement la Cour suprême d’Auckland qui lui donne raison en février dernier. Avec une première audience en octobre prochain, Mike se lance dans un procès qui pourrait durer plusieurs années. « On a de grands avocats spécialisés dans l’environnement qui acceptent de nous représenter gratuitement. On va aussi faire appel à des scientifiques nationaux et internationaux qui viendront témoigner de ces effets néfastes sur l’environnement. Mais il y aura aussi un aspect sur la loi māori qui existe ici en Nouvelle-Zélande. À savoir, comment ces émissions de carbone ont aussi affecté les us et coutumes de notre communauté. L’environnement est intrinsèquement lié à la culture māori. Si nos terres ou nos océans ne sont pas en bonne santé, alors cela affecte aussi notre bien-être ».
Des luttes qui ont plus d’une fois influencé le pouvoir politique
Élevé dans un milieu tribal, communautaire, où chacun veille à l’autre, Mike a toujours ce sentiment de responsabilité pour les autres. « Chez nous, les enfants de 12 ans veillaient sur ceux de 7 ans, ceux de 16 ans sur ceux de 12 et ainsi de suite ». Aujourd’hui, il serait presque responsable pour toutes les générations futures. Ses lectures des philosophes français comme Sartre ou Descartes ont aussi contribué à son engagement : « il y avait chez ces auteurs, toujours, des questions autour de l’expansion des consciences dans le monde, qui m’ont vraiment influencé ».
Après des études de sociologie, il a connu une certaine renaissance de la culture māori entre les années 1960 et 1970. Son Ta Moko (tatouage facial traditionnel māori) qui contourne les lignes de son visage en est le témoin. « C’est un artiste qui m’a proposé de le faire en marque de respect. Il m’a dit : ‘quand tu mourras, je veux que nos ancêtres te reconnaissent. Ils verront avec ces traits la manière dont tu as vécu ta vie’. Une remarque plutôt agréable ! » poursuit Mike. « Puis il a conclu en disant : ‘car au rythme où tu vas, tu les verras sûrement bientôt !’ »
Une allusion sans doute à l’engagement sans relâche de Mike face à ses combats pour l’environnement. Car ses luttes ont plus d’une fois influencé le pouvoir politique. En 2018, par exemple, Mike réussi à mobiliser plusieurs dizaines de milliers de personnes. Il me demande malicieusement : « Combien sommes-nous dorénavant en Nouvelle-Zélande ? 4,7 ? 4,8 millions ? C’est pas mal pour une si petite population ! » Le but de cette campagne : stopper l’accord de nouveaux permis aux plateformes pétrolières. Une manifestation qui obligera le gouvernement de Jacinda Ardern, l’ancienne Première ministre, à céder sous la pression.
Cette fois, ce combat se fera au sein des tribunaux néo-zélandais. « The time has come ! » (le temps est venu) s’exclame Mike.« Il y a dix ou quinze ans, je n’aurais pas pu. Mais aujourd’hui, on voit bien l’urgence sur la question climatique. C’est la plus grande crise de notre Histoire moderne. »
Les juges néo-zélandais en ont également décidé ainsi, dans une jurisprudence si particulière, peut être propre à ce pays, qui se distingue souvent pour ses premières mondiales telles que le vote des femmes ou sa lutte contre l’énergie nucléaire.
Dans un scénario favorable pour Mike, il pourrait être le premier individu au monde à réduire drastiquement, voire même cesser, les émissions de carbone de plusieurs géants de l’industrie fossile.
RFI