Le 14 mai 2024, Ali Bongo et ses deux plus jeunes fils ont entamé une grève de la faim pour protester contre la « séquestration » et les « actes de torture » dont les membres de leur famille seraient victimes. Le même jour, un cabinet d’avocat parisien a déposé plainte devant le tribunal de Paris pour arrestation illégale, et séquestration aggravée par des actes de torture et de barbarie. Ce 21 mai, RFI vous révèle le contenu de cette plainte. Elle détaille notamment la façon dont l’ancienne famille au pouvoir serait traitée.
« Ils sont détenus au mépris de leurs droits les plus élémentaires, menacés et torturés avec des méthodes d’une cruauté indicible, dignes d’un autre temps. » Maître François Zimeray ne décolère pas lorsqu’il évoque le sort de la famille Bongo. « Même si on peut penser d’eux ce qu’on veut, ils ont les mêmes droits que les autres », insiste l’avocat parisien dont le cabinet a été mandaté pour déposer plainte contre X au tribunal judiciaire de Paris, au nom d’Ali et Sylvia Bongo ainsi que leurs enfants Noureddin et Jalil.
Le document révèle les mauvais traitements dont la famille aurait été victime. Des pressions à la fois physiques et psychologiques pour les dépouiller de tous leurs biens, comptes bancaires, sociétés, maisons, appartements, etc.
« Sylvia Bongo est traumatisée »
Le document s’attarde sur le sort de Sylvia Bongo. Dans les premiers temps après le coup d’État survenu le 30 août 2023, l’ex-première dame aurait par exemple été arrêtée et emmenée de force au Palais présidentiel avec son fils Jalil. Leurs moyens de communication auraient été confisqués. Elle aurait néanmoins pu envoyer des messages à l’aide d’un téléphone caché, disant : « Je suis séquestrée », « SOS, SOS. »
Mère et fils auraient ensuite été emmenés à La Sablière, dans une villa des résidences de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) servant à l’accueil des hautes personnalités.
Jalil aurait finalement été transféré à la résidence familiale où, depuis, il séjourne avec son père Ali Bongo et son frère Bilal.
Sylvia, elle, a été mise en examen pour détournement de fonds publics, blanchiment de capitaux, faux et usage de faux. Elle se trouve désormais seule dans une aile récemment rénovée de la prison des femmes, à Libreville.
Depuis le putsch, l’ex-première dame aurait été plusieurs fois extraite de ses différents lieux de détention pour être emmenée dans un bureau des services spéciaux, dans l’enceinte de la présidence. Elle y aurait été interrogée, parfois pendant plusieurs jours, là encore en dehors de toute procédure. Des « interrogatoires parfaitement illégaux », dit la plainte, menés par des militaires, pour la contraindre de signer des documents ordonnant la cession de ses biens. Des séances particulièrement « musclées », puisque Sylvia Bongo aurait été victime de coups, de strangulation, de jets violents d’eau froide. Pour la faire plier, la torture serait également psychologique puisqu’un haut gradé lui aurait montré des photos de son fils Noureddin et aurait menacé de l’exécuter si elle ne coopérait pas. L’ex-première dame aurait notamment craqué en étant forcée d’assister aux séances de torture infligées à son fils Noureddin, détenu seul dans une cellule de la prison centrale, selon un régime carcéral strict.
« Sylvia est traumatisée. Quand elle raconte tout ça, elle tremble. Elle est épuisée. Elle a envie de partir, de tourner la page, mais elle ne comprend pas pourquoi on ne la laisse pas partir. Dès qu’elle pense à ses fils, elle fond en larmes », confie un de ses proches.
Noureddin Bongo « concentre la soif de vengeance des autorités »
Le sort de Noureddin Bongo serait lui « particulièrement préoccupant », indique la plainte. Ses avocats estiment que c’est sur lui que « se concentre la soif de vengeance des autorités ». Lors du coup d’État, l’aîné des enfants Bongo aurait été enlevé chez lui, à La Sablière, par des militaires armés et cagoulés, avant d’être conduit, dans un blindé de la Garde Républicaine, à l’état-major du palais où il aurait été séquestré pendant deux semaines dans une cellule exigüe sans pouvoir se laver ou se changer. Il aurait fait un passage à la Direction générale des recherches, avant d’être placé sous mandat de dépôt à la prison centrale. Ses conditions de détention auraient été particulièrement difficiles, avec 72 jours passés en sous-vêtements dans une cellule de 5 mètres carré avec un repas par jour. Il aurait subi des tortures psychologiques, avec un séjour dans le quartier des prisonniers atteints de troubles mentaux ou une inondation volontaire de sa cellule.
Comme sa mère, il aurait été exfiltré de sa geôle et emmené dans l’enceinte de la présidence pour subir de violentes séances d’interrogatoires durant lesquelles il aurait reçu des coups de marteau, de pieds de biche, de bâton de bois, des coups au visage, des strangulations avec capuche et bâton, des tirs de taser, des jets d’eau froide au visage, des coups de fouets à l’aide d’un tuyau d’arrosage. On l’aurait contraint à passer une nuit attaché à une chaise. Un coup à la tête lui aurait même percé un tympan et contraint de recevoir des soins à l’hôpital militaire.
Noureddin est détenu seul dans une petite cellule, avec très peu de contacts avec l’extérieur. Selon son entourage, pour éviter qu’il ne perde trop de poids, « il serait parfois contraint de manger cinq baguettes de pain dans la journée. Ils surveillent pour voir s’il s’exécute », indique cette source.
La famille aurait été forcée de céder des avoirs au Gabon et à l’étranger
Que ce soit celles de Sylvia ou de Noureddin, ces séances n’impliqueraient pas des agents pénitentiaires, mais des soldats. Afin d’établir des documents en bonne et due forme, des avocats de l’État, notaires et agents administratifs ont été présents. Certains sont d’ailleurs nommés dans la plainte. Tout comme un agent des renseignements qui auraient extorqué plusieurs dizaines de millions de FCFA. Des personnes qui seraient aux ordres, même si la plainte ne donne pas les noms des commanditaires, « par crainte de représailles », indique le texte. Toujours est-il que la famille aurait ainsi cédé une grande partie d’avoirs situés au Gabon et à l’étranger.
Violentée, voyant son fils recevoir un coup de taser devant ses yeux, Sylvia Bongo aurait par exemple contacté ses banquiers au Maroc, qui auraient accepté l’ordre de transférer l’argent, soit plusieurs centaines de milliers d’euros. Sylvia et Noureddin auraient aussi fini par signer des attestations ou actes de cessions concernant des villas ou des sociétés au Gabon, ou encore une maison à Dubaï. Selon une bonne source, la même méthode aurait été tentée avec des comptes en Suisse. Mais le banquier helvétique aurait refusé de réaliser l’opération par téléphone. Le procureur aurait été saisi et aurait bloqué l’opération.
Les deux autres jeunes fils du couple Bongo, Jalil et Bilal, qui vivent avec leur père à La Sablière, auraient également été violentés. Alors qu’aucune procédure n’est engagée contre eux, ils auraient été séquestrés, interrogés, avant de recevoir des coups de taser ou de ceinture, indique la plainte.
Le passage à tabac aurait été particulièrement violent lorsque les militaires auraient découvert des vidéos envoyées par Jalil dans lesquelles il racontait les sévices subis, dénonçant le non-respect des droits de l’homme et de la dignité humaine, les menaces de mort. Jalil aurait d’ailleurs, lui aussi, dû signer la cession d’une maison mise à son nom au Maroc.
« J’ai peur qu’Ali Bongo mène sa grève de la faim jusqu’au bout »
Avec ses fils Jalil et Bilal, l’ex-président Ali Bongo est maintenant en grève de la faim depuis une semaine. L’ancien chef d’État n’est officiellement pas poursuivi par la justice. Mis à la retraite depuis le putsch, il n’aurait pour l’instant jamais touché sa pension. « Il est combattif mais aussi têtu. J’ai peur qu’il mène sa grève de la faim jusqu’au bout », indique un proche. Preuve de son caractère parfois bien trempé et de sa fermeté, un membre de l’entourage raconte deux anecdotes. D’abord, peu de temps après le putsch, le roi du Maroc dont il est proche, aurait envoyé un avion pour lui faire quitter le Gabon. Ali Bongo aurait refusé d’embarquer « car il ne voulait pas partir sans sa femme ni ses enfants », confie son entourage.
Ensuite, en mars, Ali Bongo aurait tenté de quitter sa résidence, en dépit de son manque de mobilité suite à son AVC en 2018. « Il en avait marre. Il voulait voir son épouse. Tout le monde l’a supplié de ne pas partir. Mais il s’est dirigé seul vers la sortie », confie cette source. Les services spéciaux ont été avertis et se sont rendu compte que, malgré son manque de mobilité, il était décidé à aller voir sa femme en prison, à pied s’il le fallait ! Un haut responsable des renseignements se serait alors déplacé en urgence à la maison centrale pour passer un téléphone à Sylvia. Le couple se serait ainsi parlé quelques minutes et Ali Bongo aurait accepté de retourner dans sa résidence.
Néanmoins, d’après ses avocats, l’ancien président serait lui aussi spolié de ses biens avec ses comptes bancaires également vidés. Ses chèques étant bloqués, il ne pourrait même plus payer ses factures d’électricité. Selon une bonne source, l’entourage se serait ainsi cotisé pour les régler. Quelques employés sont restés auprès de lui. Les restrictions concernant les visites auraient, semble-t-il, été assouplies puisque sa sœur Pascaline et sa mère Patience Dabany viendraient désormais régulièrement le voir.
Des négociations abandonnées
Toujours est-il qu’aujourd’hui, si l’on en croit l’entourage, les Bongo n’auraient plus grand-chose de leur immense fortune. Certains affirment qu’il ne leur reste qu’une société pétrolière et des parts dans un avion, alors que les procédures judiciaires contre eux suivent leur cours.
Pourtant, d’après plusieurs sources, des négociations avaient été lancées entre le camp Bongo et les autorités pour une « composition pénale » : une procédure très utilisée dans les pays anglo-saxons et régie par les articles 44 et 45 du code de procédure pénale gabonais. « C’est une transition qui s’inscrit dans un cadre légal. On ne reconnaît pas mais on ne nie pas. On reconnaît certains faits, mais pas l’infraction », indique un juriste.
Des avocats de l’État gabonais et un agent judiciaire de l’État seraient venus à Paris pour trouver un accord. Les Bongo auraient accepté de céder leurs derniers biens, en échange de l’abandon des poursuites judiciaires et l’autorisation de quitter le pays.
Après des négociations visiblement « âpres et ardues », selon un bon connaisseur du dossier, un protocole d’accord aurait finalement été trouvé, avant que la partie gabonaise cesse tout contact, mettant fin de fait à la transaction. « Ils se sont volatilisés. Cela donne l’impression que les autorités sont dans une démarche de vengeance », indique cette source.
Les propos des avocats parisiens des Bongo « ne reposaient sur rien »
Toutes ces allégations sont rejetées par le pouvoir en place. Le lendemain de l’annonce de la grève de la faim et du dépôt de plainte, Laurence Ndong avait dénoncé une « tentative de manipuler l’opinion publique, une volonté de faire pression sur la justice gabonaise et de nuire à l’image des autorités ».
La porte-parole du gouvernement avait affirmé que Sylvia Bongo n’était pas séquestrée et qu’elle avait bien recours à ses avocats. En effet, l’ex-première les a vus plusieurs fois, mais uniquement avant un rendez-vous chez la juge d’instruction. Ses conseils affirment que jusqu’à présent, aucun n’a pu lui rendre visite sur son lieu de détention, notamment pour préparer sa défense.
D’après le gouvernement, Sylvia et Noureddin ont également pu recevoir des représentants du consulat de France, « qui se sont assurés de leur bon état de santé et de leurs conditions de détention », a déclaré Laurence Ndong.
Ali Bongo a, lui, rencontré des représentants de l’ONU qui n’ont ensuite fait « aucune observation particulière ». « Il est traité avec dignité, ses médecins sont à sa disposition, sa mère et d’autres membres de sa famille vont le voir », a indiqué la porte-parole, estimant que les propos des avocats parisiens « ne reposaient sur rien ».
Laurence Ndong cite par exemple une fête d’anniversaire, en l’honneur de Pascaline Bongo, organisée à la résidence d’Ali, en présence d’autres membres du clan. Plusieurs sources ont d’ailleurs confirmé l’organisation de ce rassemblement.
Enfin, l’ancien président serait libre de quitter le pays à tout moment, comme a pu le faire l’épouse de Noureddin Bongo lorsqu’elle s’est rendue à Londres pour scolariser leurs enfants. « Il est simplement libre de quitter le pays pour ne plus revenir », répond avec sarcasme un proche de la famille.
Une bonne source judiciaire émet également des doutes sur les affirmations des avocats et de l’entourage des Bongo. « Si c’était vrai, ce serait très grave. Mais, à ce stade, ce sont des allégations mensongères. Nous avons reçu des points santé les concernant. ONU et consulat de France ont fait des visites. S’il y avait eu des problèmes, ils l’auraient signalé. Si leurs avocats ont des éléments de preuves, ils n’ont qu’à faire leur travail », indique cet officiel, ajoutant que des droits de visite leur ont été accordés. « S’ils sont empêchés de voir leurs clients en détention, ils peuvent saisir le ministère. Or, ils ne l’ont pas fait », dit-il.
Enfin, ce bon connaisseur émet des doutes sur les intentions des avocats parisiens à l’origine de la plainte. Il fait un lien possible entre cette procédure et la visite imminente du président de la transition Brice Clotaire Oligui Nguema en France. « Cette plainte, ce n’est que pour faire le buzz ! », conclut-il.
source: Rfi