Conakry, Guinée – Un procès d’une ampleur inédite s’achève en Guinée, à l’approche du 15e anniversaire du massacre du 28 septembre 2009. Sept cent cinquante parties civiles, près de deux ans de témoignages déchirants, et un ex-président dans le box des accusés : ce procès marque un tournant décisif dans la quête de justice d’un pays au passé jalonné de tragédies.
Des Peines Lourdes pour des Crimes de Masse
Le 28 septembre 2009, plus de 150 personnes ont été tuées et plus d’une centaine de femmes violées par les forces de défense et de sécurité lors d’un rassemblement de l’opposition. Parmi les accusés, l’ex-président Moussa Dadis Camara encourt la réclusion à perpétuité. Le parquet a requis cette peine, demandant également la requalification des faits en crimes contre l’humanité, une question âprement débattue au cours des audiences et qui sera tranchée lors du verdict. Tous les accusés, dont Dadis, ont plaidé non coupables.
Les victimes réclament justice et des réparations financières allant de 100 000 à 300 000 euros, en fonction des préjudices subis, comme l’ont détaillé leurs avocats durant le procès.
Claude Pivi : L’Absent de Taille
Cependant, une absence notable plane sur cette dernière audience : celle de Claude Pivi, en fuite depuis le 4 novembre 2023. Ancien ministre chargé de la Sécurité présidentielle, Pivi est devenu l’ennemi public numéro un après son évasion spectaculaire de la maison centrale de Conakry. Sa cavale a semé la peur parmi les victimes, déjà marquées par les atrocités du 28 septembre 2009 et des jours suivants.
Alors que l’ultime audience s’apprête à commencer, nombre de victimes préfèrent suivre les événements à la télévision, par crainte de représailles et faute de garanties de sécurité de la part de l’État.
Un Verdict Attendu avec Appréhension
Pour ces victimes, c’est le cœur lourd qu’elles s’apprêtent à manquer ce moment historique, attendu depuis 15 ans. Matthias Raynal a rencontré l’une d’entre elles, qui, bien qu’exposée médiatiquement ces dernières années, préfère rester anonyme à l’approche du verdict.
« Parce que je sais ce que j’ai subi, je sais de quoi ces gens-là sont capables. J’ai été face à face avec les accusés. Si ces gens-là sont condamnés aujourd’hui, que va-t-il m’arriver demain ? Il y a des menaces. Que va-t-il arriver à mes enfants ? Que va-t-il arriver à ma pauvre maman ? Je ne sais pas, c’est seulement Dieu qui sait », confie-t-elle, la voix tremblante.
Battue, insultée, et violée au stade, elle a eu le courage de témoigner à visage découvert durant le procès. « Au tribunal, ce jour, il y avait mille caméras qui me fixaient. Pendant des jours, j’étais enfermée à la maison, je ne sortais pas parce que ce jour-là tout le monde a su ce que j’ai vécu. C’étaient des moments difficiles pour moi », raconte-t-elle.
Elle dit avoir pris cette initiative pour lutter contre l’impunité dans son pays et protéger les générations futures. Son témoignage a suscité des réactions positives. « Beaucoup de personnes m’ont félicitée. J’ai beaucoup d’amis après le procès qui m’ont appelé et qui m’ont donné le courage de continuer le combat », ajoute-t-elle.
Aujourd’hui, elle aspire à voir « la vérité éclater », que les victimes obtiennent des réparations non seulement financières mais aussi une reconnaissance de leur dignité.
Ce procès, par son ampleur et sa portée historique, représente une lueur d’espoir pour un pays qui aspire à tourner la page de l’impunité. Les yeux de la nation, et du monde, sont tournés vers Conakry, attendant avec appréhension le verdict qui pourrait enfin rendre justice aux victimes et tracer une nouvelle voie pour l’avenir de la Guinée.
Alpha Amadou Diallo