Auguste Bébel disait à propos de l’antisémitisme qu’il est “le socialisme des imbéciles”. On peut dire la même chose de la francophobie chez certains militants dits panafricanistes. Tous les malheurs de l’Afrique, tout ce qui se trame de louche sur le continent sont le fait de la France : la corruption, la pauvreté, le chômage, l’insuffisance d’électricité et d’eau potable. Mais surtout la France manipule tout. À entendre et à lire certains, on est toujours dans l’Afrique occidentale française.
Ce qui se joue au Niger est une nouvelle expression des ressorts de cette francophobie. Petit rappel. Le 26 juillet dernier, le Président démocratiquement élu du Niger, Mohamed Bazoum, est renversé par un coup d’État militaire. Depuis lors, l’ancien Professeur de philosophie est détenu dans des conditions inhumaines d’après plusieurs témoignages par la soldatesque au pouvoir à Niamey. La communauté internationale a légitimement dénoncé ce nouveau coup force militaire en Afrique de l’ouest après le Mali, la Guinée et le Burkina Faso. Les chefs d’État de la CEDEAO ont réagi de manière énergique, tout du moins dans le discours, et mis en branle une potentielle intervention militaire pour restaurer l’ordre constitutionnel au Niger. Ce volontarisme de la CEDEAO s’est très vite heurté au dénigrement de certaines élites africaines, non pas par pacifisme ou par fidélité au principe de non-ingérence. Cette opposition se drape des oripeaux de la lutte anti-impérialiste. Ainsi donc, le discours ferme des chefs d’État de la CEDEAO serait dicté par l’Élysée. C’est la Françafrique qui tire les ficelles. On en vient à héroïser les putschistes tout simplement parce qu’ils déclament des slogans anti-français.
Ce sentiment anti français se nourrit de beaucoup de fantasmes. Il prend parfois la forme du vieil antisémitisme qui sévissait en Europe dans les années 30. À l’époque, il était de bon ton de voir la main du juif dans tous les désordres, agitations et crises du vieux continent. Le même schéma se reproduit dans les milieux anti-impérialistes quand il s’agit de la France accusée de tirer les ficelles durant les élections, les coups d’État, les contre coup d’État.
Les opposants à la ligne dure de la CEDEAO sont tellement obnubilés par la France qu’ils en oublient l’essentiel c’est à dire les principes qu’ils rabâchent à longueur de colonne et de temps d’antenne : la démocratie et l’état de droit. Ils oublient que Mohamed Bazoum, on ne le répètera jamais assez, a été démocratiquement élu le 21 février 2021. Ce qui constituait la première transition démocratique de l’histoire du Niger. M. Bazoum, comme l’a si bien dit le chef de la diplomatie béninoise, est actuellement détenu comme otage par son désormais ancien chef de la garde présidentielle. Ce dernier et ses sbires qui surfent sur le ressentiment “néocolonial”, très puissant pour mobiliser la rue et hélas certains intellectuels, ne sont en réalité que des épigones de Macbeth que l’Afrique produit à intervalles réguliers. Ce M. Tiani veut désormais embastiller à vie M. Bazoum sous le prétexte fallacieux du crime de haute trahison. Cette félonie n’émeut guère les “anti-impérialistes” trop occupés à essayer de mettre des bâtons dans les roues de la France. J’ignore si l’intervention militaire est la meilleure réponse à cette forfaiture, mais il serait criminel pour les chefs d’État de la CEDEAO de rester les bras croisés. “Ce putsch est une provocation et l’arrogance dont fait montre le quarteron de colonels qui sévit à Bamako, Conakry, Ouagadougou et Niamey, un pied de nez à la Communauté Internationale. Laisser faire ces dangereux usurpateurs reviendrait à légitimer pour de bon le pouvoir kaki. La Cedeao doit prendre ses responsabilités. Elle doit tout faire pour que les générations futures ne la condamnent pas pour non-assistance à démocratie en danger”, a écrit avec justesse Thierno Monenembo dans une récente tribune publiée sur le site Lepoint.fr. L’auteur de ‘Le Roi de Kahel” est l’un des rares intellectuels africains à regarder nos problèmes contemporains dans tomber dans la démagogie de la dénonciation anti-française
La défense de la souveraineté nationale est une cause noble, mais ce combat nécessite, aujourd’hui plus que jamais, une certaine hauteur de vue et un minimum d’honnêteté intellectuelle. Des vertus devenues rares dans le monde des activistes et des hommes politiques.
Adama Ndiaye
(Source Seneweb)