La trame de l’histoire se déroule le 12 Octobre 1936 : en Espagne, la dictature de Francisco Franco (dit « Franco »), disposant d’une force militaire puissante, commençait à s’implanter. Elle allait d’ailleurs régner sur ce pays pendant 40 ans… Ce jour d’octobre 1936, sentant la dictature s’abattre sur son pays, l’écrivain-député et recteur d’université, Miguel de Unamuno, tint un discours dont un bout mérite d’être revisité. « Vous vaincrez mais vous ne convaincrez pas. Vous vaincrez parce que vous possédez une surabondance de force brutale, vous ne convaincrez pas parce que convaincre signifie persuader. Et pour persuader il vous faudrait avoir ce qui vous manque : la raison et le droit dans votre combat »…
L’Afrique de l’Ouest est malade. Malade de sa mentalité pourrie et pathétique. Malade de ses présidents et de ses apprentis putschistes. Malade de ses élites malhonnêtes. Malade de ses gouvernements corrompus et de ses leaders irresponsables. Malade de ses institutions. Malade de ses forces de défense et de sécurité qui semblent avoir décidé d’apporter plus de problèmes institutionnels qu’il n’est supportable dans une zone prise à la gorge par des djihadistes sans foi ni loi. Malade de son incurie et de sa propension à se laisser convaincre par le plus volubile des démagogues, le plus vil des aventuriers qui surfent sournoisement sur le mécontentement d’une jeunesse inculte et désorientée par le phénomène de la propagande, des réseaux sociaux et… de la cupidité.
On est bien loin des premières années du fameux discours de la Baule, quand après l’effondrement du bloc de l’Est, la plupart de nos Etats, à l’exception notable du Botwana, du Sénégal et de l’Ile Maurice – qui eux organisaient déjà des élections -, ont décidé d’enfourcher le cheval de la démocratie. Plus de 60 ans après, ces trois exceptions certes rattrapées par des pays comme le Ghana, le Cap-Vert, l’Afrique du Sud, le Nigeria, confirment toujours la règle, jusqu’à preuve du contraire…
On est bien loin de cette « jeunesse des indépendances » éduquée et disciplinée, dotée d’une vraie vision et d’un discours structuré qui n’a absolument rien à voir avec la légèreté ambiante. Ces jeunes là (certains d’entre eux sont devenus « vieux » entretemps) ne perdaient pas leur temps en cogitant inutilement autour des thèmes débiles qui ont pignon sur rue partout, y compris dans nos studios télés et radios.
A croire que, de nos jours, on a décidé d’agir comme dans de mauvais films de série B, en perdant de vue qu’il ne s’agit pas de se transformer en pâle doublure de Rambo ou de Commando mais qu’on est bien dans la vraie vie où il s’agit d’organiser à l’échelle d’un Etat un système éducatif performant, d’aménager de bonnes infrastructures, élaborer une vraie politique énergétique, sanitaire, agricole, minière, industrielle, environnementale, économique, d’embrasser et de consolider la révolution technologique, bref mener une action publique efficace permettant de changer positivement la vie de dizaines de millions d’êtres humains.
Comment réussir tout ça dans la désinvolture, les coups de sang, le tâtonnement honteux, la rupture brutale avec les institutions démocratiques qui, en dépit des critiques et des positions partisanes, commençaient à poser les jalons d’un Etat qui prend en compte les préoccupations de ses populations ? Que peut-on espérer de régimes militaires souvent applaudis au départ mais très vite décriés tant la réalité implacable n’éprouve aucun mal à les rattraper, révélant au passage, comme le dirait un écrivain qui n’arrive pas les gober, « leur vraie nature corrompue et affairiste » ? Dire qu’il existe encore des drôles de perroquets de service qui continuent de croire au miracle du treillis et de la baïonnette…
Après les 30 premières années sombres, on pensait que le « peuple » avait compris que la démocratie n’est ni caprice d’intellectuel, ni une manie « occidentale », encore moins un boulet que les nouveaux pouvoirs africains sont condamnés à trainer. Une telle réflexion est de très courte vue.
En réalité, même si elle est par endroit galvaudée ou chahutée, la démocratie est un impératif de développement. Ce système est la meilleure option pour donner à un pouvoir moderne la légitimité d’organiser, agir, contrôler, réformer, transmettre les acquis et ouvrir la voie à la critique structurée et responsable.
Avec les derniers développements observés au Mali, au Burkina Faso, en Guinée et depuis hier au Niger, on est en droit de se poser une question simple mais fondamentale : quelle mouche a piqué les peuples africains au point d’être aussi prompts à bouleverser si facilement leurs vies, leurs aspirations et leurs acquis en échange de promesses aussi chimériques que creuses ? Cette question en appelle une autre toute aussi importante : qu’est-ce qui a fondamentalement changé dans vos vies, vous qui nourrissiez tant d’espoirs il n’y a pas si longtemps avec la chute de pouvoirs démocratiques ? Comme on le voit, il est bien temps de faire fi de nos émotions et d’utiliser nos cerveaux…
Oumar Camara