Une détonation impressionnante. Dans tout Kaloum, des bâtiments sérieusement secoués par le souffle de la forte explosion ; certaines habitations fragiles ou trop proches du siège de la Société Guinéenne des Pétrole (SGP) s’effondrent. Une atmosphère d’apocalypse. Le bilan du tragique incident qui s’est produit au quartier Coronthie sonne comme une alerte sur le niveau d’organisation requis pour anticiper sur tout, en toutes circonstances, loin des flashes des photographes, de l’objectif des cameras et de la légèreté de flagorneurs toujours prompts à dresser des portraits flatteurs pour les personnalités publiques.
Dix huit (18) morts, deux cents douze (212) blessés au décompte du mardi 19 Décembre au soir, des dégâts matériels considérables et la crainte de graves perturbations dans la fourniture du carburant à Conakry et à l’intérieur du pays.
Avec le recul, il est normal de ramener une question sur la table : que se serait-il passé si l’explosion du dépôt de carburant, sis au quartier Coronthie, avait eu lieu en plein jour ouvrable, avec des installations grouillant de monde et des camions citernes déjà chargés ? On n’ose y penser. Sur ce coup-ci, il n’est pas du tout exagéré de dire que le Bon Dieu a sauvé la Guinée.
Devant l’immense mur de flammes visible à des kilomètres à la ronde, des habitations soufflées comme des fétus de paille, des frères et sœurs brûlés vifs, des enfants courant dans tous les sens, un sentiment de désarroi envahissant une population tirée de son sommeil de minuit et quelques, comme vivant une fin du monde avant l’heure, nous avons vu des soldats du feu volontaristes mais cruellement démunis.
Presque toute la nuit nous avons veillé, sensibilisant nos proches et voisins en leur demandant de garder leur sang-froid face l’indescriptible, alors qu’à quelques mètres de là des vagues d’êtres humains, affolés, complètement désorientés, qui pressant le pas, qui s’époumonant dans une course désespérée, sans destination autre que celle de fuir « l’enfer » et ces puissantes flammes qui jaillissaient comme pour les effrayer encore plus.
C’était pitoyable. C’était triste. De mon balcon où la baie vitrée avait volé en éclats, j’observais la scène d’horreur. Les images qui m’attristaient le plus étaient celles des femmes, parfois bébé au dos et tenant d’autres enfants par la main, fuyant évidemment le désastre.
Je savais que l’avais échappé belle moi-même : les éclats de verre projetés quelques secondes plus tôt à moins 2 mètres de mon fauteuil, alors que j’étais concentré sur mon ordinateur, n’ayant été retenus que par des… rideaux.
En considérant la foule et l’attitude de tous ceux-là qui voulaient s’échapper du piège, je m’interrogeais sur le sens de La Foi. En même temps, je me souvenais de catastrophes tout aussi terribles survenus les 2 et 3 février 1996, suite à une mutinerie des forces armées ou encore lors de l’explosion de la poudrière du camp AlphaYaya Diallo, il y a quelques années, avec leurs lots de morts et de mutilés. Tous ceux-là ne pouvaient ignorer que le Bon Dieu est toujours au contrôle de tout mais ils avaient parfaitement le droit de tenter de se mettre à l’abri…
Les fuyards munis parfois de simples baluchons se dirigeaient tous vers la sortie de Kaloum. Sur injonction des militaires et gendarmes, les camions citernes stationnés à proximité des installations d’Electricité de Guinée (EDG) tentaient, en désordre, de se frayer un chemin au milieu de toute cette cohue. Heureusement que tout semble désormais maîtrisé, deux jours après la catastrophe.
Cette nuit du 17 au 18 Décembre 2023 nous donne quand même quelques enseignements.
Le premier est que dans la vie d’un Etat, un incident aussi grave peut survenir à tout moment. En effet, la tragédie de Coronthie montre les limites de l’improvisation dans un monde de plus en plus incertain.
Le second est que les hommes de la protection civile, ce corps spécialisé qui doit être capable d’agir en toutes circonstances, n’avaient pas les moyens adéquats pour sauver le maximum de vies. La catastrophe de Coronthie a mis à nu les défaillances inquiétantes au niveau du matériel d’intervention, même si les équipes de la SOGEAC et des sociétés minières, dotées de camions de pompiers capables de projeter de la mousse, sont rapidement venues à la rescousse. Quid du Service d’aide médicale urgence (SAMU), inexistant pour le moment, contraignant les autorités à « réquisitionner » les ambulances des hôpitaux et des cliniques privées ?
Le troisième est que l’éducation civique devrait être renforcée : on a vu des personnes qui s’enfuyaient dans le désordre, laissant derrière eux des enfants ou des personnes faibles alors que dans des circonstances aussi difficiles, la priorité devait être axée sur la protection et le sauvetage des femmes, des enfants et des personnes faibles.
Le quatrième enseignement est que sans organisation stricte et bien huilée, il est impossible de limiter les dégâts en cas de catastrophe. Croire que l’improvisation et les décisions au pifomètre peuvent prospérer n’est qu’une vaine illusion.
Le cinquième est qu’il faudrait bien poser le débat consistant à trouver le moyens de déplacer les installations sensibles au feu pour les éloigner des zones d’habitations.
Enfin, penser qu’un régime d’exception peut mobiliser l’ensemble des partenaires autour d’un Etat est un leurre. Pour déployer tout son potentiel, un Etat a besoin d’avoir à sa tête des dirigeants élus et des institutions reconnues par tous.
Last but not least, il y a bien entendu cette enquête qui doit déterminer les causes exactes du sinistre dans une ambiance de suspicion et manipulation. Que s’est-il exactement passé à Coronthie ? La réponse à cette question est d’une importance cruciale.
Ce témoignage ne saurait finir sans rendre hommage aux pompiers et médecins guinéens et à leurs frères venus du Sénégal et de la France. Ils ont réussi à stabiliser la situation et ramener l’espoir là où l’angoisse avait pris le dessus, dans un magma de réactions irrationnelles et bien entendu de rumeurs les plus folles, alimentées par la censure contre plusieurs organes de presse et les réseaux sociaux…
Pour terminer, même si le plus dur est à venir, avec un risque évident de pénuries de carburant dans les jours à venir – avec 13 bacs du dépôt de de la SGP complètement hors services sur une vingtaine -, en attendant la reconstruction des installations comme nous l’avons mentionné, la sécurité passera pas leur éloignement des lieux d’habitation. Paix à l’âme des disparus et bon courage aux blessés.
Oumar Camara