Au tribunal criminel chargé de juger les massacres, les viols et les autres exactions commis le 28 septembre 2009, l’ex putschiste Moussa Dadis Camara – actuellement en détention pour plusieurs accusations portant sur les graves crimes commis selon plusieurs témoignages par des militaires et des individus en tenues civiles -, a donné une version surréaliste de son altercation avec le commandant Aboubacar Diakité dit « Toumba », le 3 décembre 2009.
Le capitaine Dadis affirme qu’il voulait « arranger » le béret de celui qui lui a tiré dessus après cette scène qui lui a fait perdre le pouvoir.
L’ex leader du Comité national pour la démocratie et le développement (CNDD) a déclaré par ailleurs que son commandant d’opération, Joseph Makambo, n’était pas « armé » ce jour-là et a d’ailleurs rejoint en route son cortège qui se rendait au camp Koundara.
Toumba avait déjà expliqué que les proches de Dadis étaient « lourdement armés » et se sont montrés agressifs. Il a dit et répété que Dadis l’a plutôt tapé à la tête, faisant tomber son béret, pendant que les hommes du capitaine tenaient des propos injurieux à son encontre, les armes engagées.
Un des gardes du corps de Toumba, Cécé Haba a confirmé la version de Toumba en ajoutant que Dadis avait exigé à son ex-aide de camp de lui donner son arme. « Toumba, donne moi ton arme ! » aurait dit Dadis au cours de la scène qui a fini par dégénérer.
« Makambo est les autres étaient habillés comme s’ils allaient à la guerre », a témoigné Haba, qui a été arrêté quelques jours après les événements de Koundara.
Dadis ne s’était jamais prononcé sur la journée du 3 décembre, le jour où Aboubacar Toumba Diakité mit fin à son règne en lui tirant une balle dans la tête. L’ex chef de la junte a finalement été évacué au Maroc avant d’être transféré au Burkina Faso où il a suivi sa convalescence jusqu’à 4 septembre 2022, quand il a débarqué à Conakry pour se présenter au tribunal criminel. A son grand désarroi, il a été incarcéré à la Maison Centrale de Conakry le 27 septembre 2022, à la veille de l’ouverture du procès, et est actuellement dans le box des accusés.
Voici sa version des faits relaté le mercredi 25 janvier 2023 (Dadis est interrogé par son propre avocat)…
VERBATIM
Me Jean-Baptiste Jocamey Haba : est-ce que vous étiez au camp Koundara armé, parce qu’on a parlé de légitime défense ?
Dadis : Non
JBJH : Vous n’êtes jamais allé là-bas armé ?
Dadis : Non
JBJH : Quand vous êtes allé là-bas , qui conduisait ?
Dadis : Moi-même
JBJH : Est-ce que vous êtes allé au camp Koundara avec le même dispositif militaire qui avait l’habitude de vous accompagner ? Beaucoup de véhicules, beaucoup de militaires ?
Dadis : Non parce qu’à l’époque puisque les gardes connaissent mon programme, je travaillais la nuit. Dans la journée, les gens vaquaient à leurs affaires et ceux qui m’ont accompagné, je ne peux pas retenir le nombre mais il y avait beaucoup d’absents.
JBJH : Quand vous êtes entré, vous êtes allé vers votre aide de camp. C’est bien cela?
Dadis : Oui
JBJH : Est-ce que les mêmes civilités, le même respect dû à un chef d’Etat vous ont été montrés ce jour là ?
Dadis : Non.
JBJH : Par quel mot vous vous êtes adressé à votre aide de camp parce qu’on fait comprendre que vous étiez allé l’arrêter ?
Dadis : Non c’est comme tout homme, c’était mon petit . Qu’on vienne vous dire que votre petit est en train de tirer à la gendarmerie et que les gens hésitants ou peut-être de lui faire du mal parce que ça lui aurait fait du mal. C’est dans ce contexte qu’ils sont venus m’informer et là je suis sorti. Je n’ai même pas cherché à réfléchir. J’ai dit que: je vais partir, ce qu’il est en train de faire, ce n’est pas bon. Je vais venir avec lui au camp. C’est cette idée qui m’est venue.
JBJH : Parce que si quelqu’un devrait faire du mal à votre petit, ca vous ferait mal n’est-ce pas ?
Dadis : Oui
JBJH : Ce jour-là, est-ce qu’il vous a demandé de vous diriger dans un bureau ?
Dadis : Maitre, vous savez comme le président a dit, je l’accepte. Ça , j’estime que ça va être l’objet d’un autre procès . Parce que déjà vous le savez vous-même.
JBJH : Monsieur le président, ce procès c’est moi qui l’ai suivi mais je pense qu’on en a parlé ici. Et nous en avons discuté. Ce procès c’est moi qui l’ai suivi et j’ai obtenu un arrêt de renvoi. On en a parlé ici et je veux qu’on en parle.
Dadis : Si Monsieur le président me permet, me donne l’autorisation, comme ça je peux aussi essayer de répondre quelques questions . Parce que je ne voudrais pas essayer de répondre.
JBJH : Est-ce que ce jour votre aide de camp vous a demandé d’aller vers un bureau ?
Dadis : Oui d’abord quand je suis arrivé, il n’y pas eu d’honneur, moi-même j’ai demandé : je peux rentrer ici sans les honneurs !? J’ai garé mon véhicule et comme il était assis de l’autre côté je suis allé vers lui. J’ai dit mais qu’est-ce que vous êtes en train de faire ? Ce que vous faites ce n’est pas bon. C’est dans ce contexte on est resté, paix à feu Joseph Makambo , il n’était même pas dans le cortège. C’est quand il a appris que je me dirigeais vers Koundara qu’il est venu. A peine que j’étais avec Toumba en train de lui dire les remarques, ce qu’il est en train de… je n’ai pas besoin de mentir sur cet homme. De la manière qu’il portait son béret, puisque dans l’armée le port du béret est un règlement, c’est là où j’ai dit : mais comment vous portez le béret ? Sur tout ce qui m’est cher, j’ai voulu arranger le béret, c’était dans une position, le béret est tombé. Quand cela s’est passé il a repris son béret et j’ai dit : lève toi on va aller au camp Alpha Yaya, ce que vous faites n’est pas bon.
Au même moment, je voyais une discussion qui tramait derrière moi , je tourne qui je vois ? Je vois feu Joseph Makambo arrêté qui avait pris la main de feu Beugré qui avait un pistolet. Je dis qu’est-ce qui se passe, il me dit: Monsieur le président vous ne pouvez pas échanger avec Toumba et que lui il sort le revolver. Quand j’ai compris, j’ai eu un réflexe, j’ai eu un réflexe, c’est là où on parle de Dieu . J’ai dit non, s’il veut faire quelque chose…, j’ai banalisé. Les deux étaient arrêtés, c’est vrai Toumba s’est levé il n’a pas réagi. Je le dit devant Dieu . On a commencé à aller, la seule chose qu’il m’a dit : Monsieur le président vous savez que je suis votre petit sûr? J’ai dit allons-y au camp .
À peine qu’on arrivait juste au bureau de feu Beugré, il m’a dit de rentrer au bureau. J’ai dit non je ne peux pas rentrer dans le bureau. Allons au camp. On marchait. Vous savez, quand vous marchez et que quelqu’un s’arrête vous vous rendez compte. Dès que j’ai constaté qu’il s’est arrêté, j’ai tourné la tête et j’ai vu un coup de feu. Pas plus de deux mètres. Quand ça s’est passé et que Joseph Makambo a vu ça, c’est en ce moment qu’il est venu quand il a compris que j’étais à terre et que le tir a été effectué. Mais dans tous les cas, je ne pouvais pas me retrouver. C’est le jeune Mansaré qui est venu et il a dit: monsieur le président. J’ai répondu, il me dit: je vais te sauver. Je ne sais même pas comment ce jeune m’a extirpé de là où l’évènement s’est passé. En ce temps Makambo luttait avec son équipe. Ceux qui sont venus m’accompagner, c’est dans les explications, ils n’ont pas réagi. La seule chose que j’ai dit est que je remercie le bon Dieu. On me transporte pas plus de 30 mètres , j’ai eu un réflexe en disant: envoyez moi au camp Samory. C’est le seul mot que j’ai dit. Je me suis dit si je reste ici et qu’ils lancent les grenades ? Sinon je ne sais pas comment le cheminement s’est fait au camp Samory, les soins, puis l’hélico est venu me transporter à la base aérienne. De là, je suis venu dans un véhicule et moi-même jai marché pour rentrer dans mon bureau. Ça veut dire quoi Maitre ? Quand Dieu te sauve d’une situation, il ne faut pas mentir, il ne faut pas mentir. Si tu mens, Dieu même va te maudire. Ce n’était pas ma force et je crois que c’est par rapport à cette lutte il s’était déjà rendu compte que pour moi c’était fini. Pendant qu’ils étaient en train de lutter, c’est en ce moment effectivement qu’on m’a transporté. Donc je dis que c’est un problème de destin . Si je suis là ici aujourd’hui devant cet auguste tribunal même à l’instant où je suis , il y’a des moments quand je réfléchis je trouve irréalisable si ce n’est pas un fait de Dieu.
JBJH : Vous savez pourquoi je parle de ça ? Parce qu’on a parlé de légitime défense. Si je vous entends bien, ça veut dire que feu Joseph Makambo est intervenu alors qu’on avait déjà tiré sur vous ?
Dadis : Entre Dieu et moi, parce que ce garçon m’est très fidèle , il aurait même dit un jour à sa famille que : là où le président va mourir, je vais mourir. Entre Dieu et moi, parce que si je suis devant l’auguste tribunal, devant le peuple de Guinée, je ne dois pas mentir. Si je mens c’est Dieu même qui va me maudire.
JBJH : Puisque vous parlez de Mansaré, ça veut dire que ce n’est pas le nommé Marcel qui vous a sauvé comme il l’a dit ici publiquement. Cécé Raphaël plutôt ?
Dadis : C’est le jeune Mansaré qui est venu parce qu’il avait une formation au Maroc . C’était par rapport à la garde rapprochée.
JBJH : Dites-moi quel dernier mot vous aviez dit à Toumba quand il a tiré sur vous?
Dadis : Le seul mot que j’ai dit quand il a tiré sur moi c’est : Toumba tu peux me trahir ?
JBJH : Monsieur le président entre votre aide de camp et vous, qui a trahi l’autre ?
Dadis : Par rapport à la scène que je vous explique, en tout sincérité, c’est Toumba qui m’a trahi. Toute l’armée guinéenne, tout le monde, personne n’osait Toumba.
JBJH : Une dernière question Monsieur le président et vous n’êtes pas obligé de la répondre parce que souvent vous avez des difficultés. Est-ce qu’on vous a dit comment Makambo a été tué ?
Dadis : Maitre, pour le respect , aussi pour ne pas terroriser ses enfants, j’ai la chair de poule, je ne peux pas l’expliquer.
JBJH : Monsieur le président, je vais conclure. Dans votre narration, le premier jour dans votre narration, vous avez parlé de Marie Antoinette, une femme qui a été jugée et condamnée parce que son mari était roi . Qu’est-ce que vous voulez dire au tribunal ?
Dadis : La reine Marie Antoinette, ça c’était bien la révolution française. J’ai voulu faire comprendre au tribunal que c’est parce que Marie Antoinette était la femme du roi que par la trahison ou complicité s’est vue passée à la guillotine. Autrement dit c’est parce que je fus président qu’on veut me faire croire devant le tribunal et le peuple de Guinée que ce qui s’est passé le 28 septembre, que j’en suis responsable.
Amadou Tidiane Diallo (avec un décryptage de Mediaguinée)