Pour sa troisième audition devant le tribunal criminel au procès des événements du 28 septembre 2009, le colonel Blaise Gomou a eu des difficultés face aux questions des avocats de la partie civile qui ont malmené ses propres déclarations.
Le colonel Gomou a reconnu s’être rendu au stade de Dixinn le jour où des éléments de l’armée (bérets rouges), de la gendarmerie et de la police ont violemment réprimé une manifestation d’opposants hostiles à l’idée d’une candidature à la présidentielle de l’ex putschiste Moussa Dadis Camara, celui-là même qui s’était emparé du pouvoir en décembre 2008, suite au décès du président Lansana Conté.
L’officier supérieur a surtout tenu à « charger » uniquement Aboubacar Diakité dit « Toumba », l’ex aide de camp de Dadis, qu’il affirme avoir vu « tirer en l’air » au stade, entouré d’une escouade de bérets rouges, ce que Toumba a fermement démenti dans son audition faite antérieurement avec force et détails.
L’officier supérieur coiffé par Tiegboro prétend qu’il est allé en mission de lutte contre le banditisme – qu’il chercherait à traquer dans le sillage de la manifestation -, avec des hommes « désarmés ». Evidemment, la ficelle peut sembler trop grosse à tout homme doté d’un minimum de logique… Soit !
L’une des premières difficultés dans la version de Gomou est qu’aucun autre accusé, même les plus farouchement opposés à Toumba, n’a corroboré l’histoire d’un Toumba se rendant au stade avec « 4 à 5 pickups », descendre d’un véhicule, se faire entourer par ses « hommes » pour donner le top départ du massacre de grande ampleur, en tirant en l’air.
La position de l’ex cadre du secrétariat d’état chargé des services spéciaux est d’autant plus inconfortable qu’il a refusé de donner un seul nom parmi les 6 « élèves gendarmes » programmés dans l’équipe qu’il dirigeait ce jour-là, pour le conforter dans ses propos.
La manœuvre, à ce stade semble évidente : citer un nom, donc confirmer la venue au stade d’un gendarme qui tente de s’aménager une nouvelle vie, après cette journée cauchemardesque, risque d’ouvrir la boite de pandores : la personne citée pouvant immédiatement se retourner contre son « dénonciateur ».
Dans ce jeu du chat et de la souris, ni les procureurs, ni les premiers avocats qui ont interrogé l’énergique colonel ne sont tombés dans le piège d’un chef d’équipe qui prétend ne pas connaître l’identité des gendarmes embarqués dans le même véhicule que lui…
L’autre difficulté est liée au fait que l’officier supérieur a clairement indiqué dans son audition que « Toumba et ses hommes » tiraient des coups de feu, sans être en mesure de citer le nom d’un seul militaire (à part Toumba) qui a utilisé son arme ce jour-là. De la part d’un officier, chargé entre autre du renseignement (c’est l’une des attributions des services spéciaux), c’est un peu tiré par les cheveux.
Une autre « curiosité » dans la version de Gomou est qu’il a déclaré à la barre qu’après la « programmation » faite par son supérieur hiérarchique direct, il est allé « appeler » les 6 éléments qui devaient l’accompagner dans sa mission du jour. On se demande bien comment est-ce possible d’identifier ou trier les éléments en question, fussent-ils des élèves gendarmes, sans connaître leurs noms.
Par ailleurs, quand Gomou veut laisser croire qu’il a quitté le stade après les premiers coups de feu tirés selon lui par les bérets rouges, pour revenir dormir à sa base au camp Alpha Yaya Diallo, on a du mal à le croire pour deux raisons au moins, même s’il tente de justifier son attitude par les mauvaises relations qu’il entretenait avec Toumba.
La première est que les coups de feu, de son propre aveu, n’étaient pas dirigés contre lui et ses éléments, et la seconde est que la tragédie qui débutait au stade, sous ses yeux, ne permettait pas, même au plus insensible d’entre nous d’aller se coucher chez lui.
Il reste donc à déterminer pourquoi une telle posture de la part d’un officier supérieur qui a débuté son audition en fanfare, affichant sa « compétence » et citant une série de formations auxquelles il a participé, donc très loin d’être un soudard qui ne mesure pas les conséquences de ses actes. Pourquoi tant d’hésitations pour des questions simples surtout quand elles concernent directement le capitaine Moussa Dadis Camara ?
Dans la version du colonel Gomou, l’élément qui inquiète le plus est le fait qu’il trouve normal de se retirer du stade au moment où des dizaines de milliers de civils désarmés étaient pris dans un piège aussi insensé que mortel. Au moins 157 personnes y ont perdu la vie, plus d’une centaine de femmes violées et des centaines de blessés, ce qui rend plus incompréhensible son attitude.
Amadou Tidiane Diallo