Des incendies dits « hivernaux », aussi appelés « feux zombies », issus de la terrible saison estivale qu’ont connu les Territoires du Nord-Ouest canadien, continuent de brûler sous terre. Paradoxalement protégés par la neige et accentués par le réchauffement climatique, ils obligent les autorités à une vigilance continue.
Il n’y a pas grand-chose sur la route qui relie Calgary, plus grande ville de la province canadienne occidentale de l’Alberta, à Yellowknife, ville de 20 000 habitants située dans les Territoires du Nord-Ouest. Des bisons, quelques renards, de rares voitures, et des forêts… ou du moins ce qu’il en reste. Des arbres sont calcinés sur de larges portions, à l’approche de Yellowknife, et même en plein hiver, quelques fumerolles continuent de percer à travers l’épais manteau neigeux.
L’été passé, comme tout le Canada, les Territoires du Nord-Ouest ont connu la pire saison des feux de leur histoire. Parmi ses 35 000 habitants, « 70 % ont dû être évacués, et quatre millions d’hectares de nos territoires ont été affectés », liste sobrement Mike Westwick, responsable de l’information au service de gestion forestière des Territoires du Nord-Ouest, avant d’ajouter : « Nous sommes habitués aux feux dans la forêt boréale. Mais cette année, le fardeau pour les hommes et l’environnement a été particulièrement lourd ». Les incendies ont été d’une telle puissance qu’ils ont brûlé les sols en profondeur.
Un phénomène vieux comme le monde
Les fumerolles visibles le long de la route Mackenzie sont en partie le résultat de cette intensité. Contrairement à ce que nos yeux nous font croire, un incendie ne brûle pas que de bas en haut. Les flammes consument tout jusqu’au sous-sol lui-même, développe le responsable : « Dans les forêts boréales, il y a de très bons combustibles, enfouis profondément. La tourbe et d’autres types de matière organique conduisent la chaleur et maintiennent piégées les braises, qui restent ainsi même actives en hiver. »
Le phénomène des feux hibernants a toujours existé, au Canada comme ailleurs. Mais la superficie des Territoires du Nord-Ouest est si importante, deux fois celle de la France, qu’il est normalement improbable de voir la manifestation de ces incendies hivernaux. Le fait qu’il soit possible de voir quatre panaches de fumées le long de la route qui mène jusqu’à Yellowknife témoigne du nombre incalculable de feux qui brûlent encore sur les plus d’un million de kilomètres carrés du territoire.
Pour l’heure, le phénomène des feux hivernaux, bien qu’impressionnant, ne doit pas être exagéré. La grande majorité des incendies sont provoqués par les éclairs des orages, une faible proportion par les feux hibernants. Reste que cette proportion augmente. « Après la saison constituée de 300 feux de forêt entre 2014 et 2015, nous avons vu huit de ces incendies passer l’hiver, poursuit Mike Westwick, mais dans certaines juridictions, cela se produit de plus en plus souvent. Et les chercheurs nous suggèrent que ce phénomène pourrait s’aggraver. »
Le changement climatique à l’œuvre
En effet, le hasard des éclairs, les incendies volontaires et le phénomène El Nino n’expliquent pas à eux seuls l’intensité des feux de cet été et l’augmentation des feux hivernaux. « Il est toujours très difficile de lier un événement unique au changement climatique. Mais ce que nous savons, c’est que nous avons connu, avant la saison dernière, des zones du territoire qui n’ont reçu qu’environ 30 % des précipitations que nous aurions pu attendre au cours du printemps. Et ce, tout au long d’une période où nous étions déjà confrontés à la sécheresse », rappelle Mike Westwick.
Pour l’heure, les incendies hivernaux font l’objet d’une surveillance accrue de la part des autorités canadiennes. Ils sont impossibles à éteindre un à un : certains se consument à un mètre sous le sol, sans compter l’épais manteau neigeux, et cela demanderait des moyens humains qu’aucun pays n’est capable de fournir. L’objectif est donc de détecter le moindre départ de feu à l’air libre, insiste le responsable : « On surveille principalement les frontières entre les zones brûlées et non-brûlées, car c’est de là que peuvent repartir les flammes ».
La division des forêts travaille ainsi main dans la main avec les pompiers de la province, utilisant les rapports de témoins humains, des images satellites, des patrouilles aériennes. Douze tours de surveillances des incendies, dont neuf sont automatisées, parsèment également le territoire. Le phénomène n’est donc pas pris à la légère. « Le premier incendie détecté dans les Territoires du Nord-Ouest était d’origine souterraine. Il a lancé la plus intense saison de feux de notre histoire », rappelle Mike Westwick.
Ces derniers temps, les mois de mars et d’avril ont tendance à se réchauffer au Canada, comme dans le reste du monde. Avec le risque de provoquer une reprise de plus en plus précoce et un allongement des saisons d’incendies, poussé par le phénomène des feux hivernaux.
source: RFI