Ce mardi 5 mars 2024 se tiendra le « Super Tuesday » aux États-Unis, c’est une étape cruciale, notamment pour les candidats à la Maison Blanche. Après l’année la plus chaude jamais mesurée en 2023, le changement climatique et ses effets ont fait leur entrée dans les préoccupations d’une majorité d’électeurs américains. Mais tous les candidats ne comptent pas y répondre.
L’an dernier, les États-Unis ont été touchés par vingt-huit catastrophes climatiques. Chacune a fait des dommages matériels d’au moins un milliard de dollars. Face aux ouragans, tornades, inondations et incendies de forêts, 2,5 millions d’Américains ont été forcés de fuir leur domicile, un tiers d’entre eux pour plus d’un mois, selon les chiffres publiés par le Bureau du recensement.
Comme ailleurs dans le monde, il a fallu que les effets du réchauffement climatique touchent directement la vie de millions d’Américains pour que le sujet devienne un enjeu électoral. « Sept Américains sur dix se disent préoccupés par le changement climatique et affirment que cela influencera leurs choix électoraux en novembre prochain. » C’est l’un des résultats de la dernière étude de « Climate Change In The American Mind », un programme de recherches des deux prestigieuses universités américaines Yale et George Mason qui analysent depuis seize ans l’évolution de l’opinion publique américaine face au changement climatique.
Chez les électeurs indépendants, qui se disent affiliés à aucun des partis, le changement climatique arrive même dans les trois thèmes prioritaires qui pèseront sur leur choix au moment de glisser le bulletin dans l’urne.
Joe Biden, à la recherche du bon narratif sur son action climat
Dans ce contexte, Joe Biden devrait avoir un boulevard devant lui, en théorie en tout cas. Élu sur la promesse de faire revenir les États-Unis dans l’arène mondiale de la lutte contre le changement climatique, le pays a en effet réintégré l’Accord de Paris en février 2021, un mois après son arrivée à la Maison Blanche. Il a fallu plus de temps au président démocrate pour faire adopter son ambitieux agenda climat par le Congrès. La loi – adoptée en août 2022 et baptisée Inflation Reduction Act (IRA) pour parvenir à dépasser les blocages à la Chambre des représentants et au Sénat – prévoit des investissements de 350 milliards de dollars dans les transitions énergétique et écologique. Jamais dans l’histoire des États-Unis, autant d’argent fédéral n’avait été débloqué en faveur du climat.
« Joe Biden a une belle histoire à raconter. Il faut juste que les Américains l’entendent », estimait en février John Kerry, son émissaire climat, de passage à Paris. Car à huit mois de l’élection présidentielle, Joe Biden a un problème : le grand public ignore tout du contenu de cette loi historique. « Notre enquête montre que la plupart des électeurs ne savent pas ce qu’est le Inflation Reduction Act », constate Edward Maibach, l’un des auteurs de l’étude de l’Université George Mason. « Mais quand on leur explique durant le sondage ce qu’implique cette loi, une majorité des personnes interrogées disent « Ah c’est une bonne idée ! Je suis pour ». »
IRA : un premier bilan en demi-teinte
Un an et demi après l’adoption de l’IRA et à l’approche des élections, les médias américains et différentes ONG ont publié ces dernières semaines des articles et des rapports pour faire un premier bilan de l’impact de cette loi sur son objectif affiché : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici à 2030.
Les résultats sont mitigés : grâce aux subventions pour les particuliers, les ventes de véhicules électriques ont doublé l’an dernier pour atteindre 9,2% de toutes les nouvelles voitures vendues aux États-Unis, un record. Les crédits d’impôt ont incité aussi de nombreuses entreprises à fabriquer panneaux solaires, éoliennes et batteries sur le sol américain plutôt qu’à l’étranger. Au total, 44 milliards de dollars ont été investis par les entreprises dans la production d’énergie propre en 2023.
Mais pour atteindre les objectifs fixés dans la loi en termes de réduction des gaz à effet de serre, l’énergie renouvelable se heurte à un obstacle majeur : il n’y a pas suffisamment de lignes de transmission à haute tension pour la raccorder aux réseaux électriques existants, vieillissants et déjà saturés. Or, ni la transmission ni les procédures d’autorisation pour moderniser l’ensemble du réseau énergétique américain ne sont inclus dans l’Inflation Reduction Act. Si Joe Biden était réélu en novembre, c’est sur ces deux points cruciaux que devrait statuer le Congrès.
Donald Trump et la menace du retour en arrière
Donald Trump le répète à chaque meeting électoral : le changement climatique est « un problème imaginaire », un « canular ». Et comme bon nombre de personnalités d’extrême droite dans le monde, l’ex-président fait passer le message erroné que les mesures prises en faveur du climat créeraient plus de problèmes que le réchauffement planétaire lui-même. Dans une partie de l’électorat conservateur, qui voit dans les réglementations gouvernementales sur l’environnement et la dépense massive de dollars des contribuables en faveur du climat une insupportable ingérence de l’État fédéral dans la vie privée des Américains, ce message porte.
À l’instar des travailleurs de l’industrie automobile dans le Midwest – région qui compte plusieurs États clés pour la présidentielle – à qui Donald Trump promet de supprimer les incitations à la production et à l’achat de véhicules électriques : « Vous pouvez être loyal envers les travailleurs américains ou envers les fous de l’environnement », a déclaré le favori des primaires républicaines lors d’un meeting électoral. Donald Trump ne laisse d’ailleurs aucun doute quant à ses priorités : en cas de retour à la Maison Blanche, il relancerait immédiatement les combustibles fossiles, annulerait par décret l’ensemble des réglementations mises en place par Joe Biden et abrogerait l’IRA.
« Le fanatisme climatique de l’administration Biden devra être dénoué à l’échelle de l’ensemble du gouvernement » peut-on lire dans « Project 2025 », une sorte de feuille de route écrite par des dizaines d’organisations conservatrices pour esquisser un éventuel second mandat de Donald Trump.
Nikki Haley : candidate anti-climat
La seule concurrente conservatrice encore en lice contre Donald Trump lors de ce Super Tuesday est Nikki Haley. L’ancienne gouverneure de la Caroline du Sud déclare à longueur de journée que « le changement climatique est bien réel ». Mais cela ne l’amène pas à s’engager dans la réduction des gaz à effet de serre. Bien au contraire, Nikki Haley promet une « domination énergétique des États-Unis sur le monde de demain », avec notamment la mise en service de nouveaux pipelines. « Nous exporterons autant de gaz liquéfié que possible », affirme la candidate.
En ce qui concerne l’avenir de l’Inflation Reduction Act, Nikki Haley ne se différencie pas de Donald Trump. Pour l’ancienne ambassadrice des États-Unis auprès de l’ONU, la loi climat de Joe Biden n’est qu’un « manifeste communiste de subventions à l’énergie verte ». Et comme Donald Trump, Nikki Haley promet d’abroger l’IRA si elle était élue à la Maison Blanche.
L’Inflation Reduction Act, pas facile à défaire
Mais contrairement à ce qu’affichent Donald Trump et Nikki Haley, il ne serait pas facile à défaire l’Inflation Reduction Act. La loi sur le climat signée par Joe Biden a déjà incité de nouveaux projets et la création d’emplois dans le domaine des énergies propres à travers tout le pays, y compris dans les États dirigés par les républicains.
Et bien que le parti conservateur semble de plus en plus inféodé à Donald Trump, tous les élus républicains ne partagent pas les points de vue radicaux de l’ex-président en matière de climat. En témoigne le « Conservative Climate Caucus », un groupe qui rassemble un peu plus d’un tiers des élus républicains de la Chambre des représentants et qui tente d’améliorer l’image du Grand Old Party sur les questions climatiques.
La reconnaissance de la contribution de l’homme au changement climatique est une condition préalable à l’adhésion au groupe. Ses membres se disent convaincus de la nécessité d’élaborer des stratégies pour répondre à l’urgence du réchauffement planétaire. Ces élus savent qu’un engagement en faveur du climat pourrait faire la différence en novembre prochain, quand notamment les voix des électeurs indépendants seront très convoitées.
Source: RFI