Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a donné son accord lundi pour que le vice-président de la République islamique assure l’intérim du pouvoir après le décès du président Ebrahim Raïssi dans un accident d’hélicoptère ce 19 mai. Conformément à la Constitution, le premier vice-président va prendre les rênes du pays avant l’organisation de l’élection présidentielle le 28 juin. Portrait.
L’article 131 de la Constitution de la République islamique d’Iran prévoit que, « en cas de décès, de destitution, de démission, d’absence ou de maladie d’une durée supérieure à deux mois du président », c’est « le premier vice-président qui assumera les pouvoirs du président ». Un processus validé par le guide suprême Ali Khamenei qui a donc désigné Mohammad Mokhber à la tête du gouvernement iranien ce lundi 20 mai.
Jusque-là, ce dernier avait principalement pour fonction de conduire les réunions du gouvernement en l’absence du président. Désormais, il va devoir organiser la prochaine élection « dans un délai maximum de 50 jours » avec le président du Parlement et le chef de l’autorité judiciaire du pays, qu’il a d’ores et déjà rencontrés ce lundi 20 mai lors d’une première réunion. Les trois responsables ont insisté sur leur volonté de coordonner les différentes branches du pouvoir « afin de résoudre les problèmes du pays ».
Gestionnaire
Âgé de 68 ans, Mohammad Mokhber est né à Dezfoul dans le sud-ouest du pays, où il effectue des études supérieures en gestion et en économie. Issu d’une famille de clercs, il commence son parcours dans le secteur des télécommunications puis devient vice-gouverneur de la province du Khouzestan dans les années 1990. Mais c’est son travail au sein de la Fondation Mostazafan (Déshérités) qui constitue probablement le point-clé de son ascension politique.
La Fondation Mostazafan, où il se hisse au rang de vice-président chargé du commerce et des transports au début des années 2000, est officiellement une organisation caritative, mais décrite par le Trésor américain comme « un réseau de mécénat clé pour le guide suprême » qui comprend des participations dans des secteurs majeurs de l’économie iranienne. Il travaille également dix ans pour la Sina Bank, une banque privée contrôlée par cette même fondation, et entre en 2007 au Setad Ejrai farman-e imam, le Quartier général exécutif des ordres de l’Imam, responsable de la gestion des biens détenus par le guide suprême.
Ces trois organisations font partie d’un conglomérat entièrement contrôlé par l’ayatollah Khamenei, qui possède des milliards de dollars d’actifs. Un réseau opaque d’entités financières liées à l’État iranien, sans qu’elles ne lui appartiennent vraiment. À elle seule, la Fondation Mostazafan est considérée comme « la seconde plus grande entreprise du pays après la compagnie pétrolière et la plus grande holding du Moyen-Orient, qui contrôle des pans entiers de l’économie iranienne », rappelle Azadeh Thiriez-Arjangi, chercheur-enseignante et vice-présidente du conseil scientifique du Fonds Ricœur.
Sanctions et corruption
Depuis, souligne-t-elle, le nom de Mohammad Mokhber « apparaît dans les conseils d’administration d’une quinzaine d’institutions très importantes » et il est devenu membre du Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime, une entité nommée par le guide. Une omniprésence qui s’explique par la confiance que lui accorde Ali Khamenei, développée lors de ces années à la fondation Mostazafan et auSetad. Et qui lui ont probablement valu d’être nommé premier vice-président en 2021, dans la foulée de l’élection d’Ebrahim Raïssi.
À la tête de l’exécutif, il s’est surtout illustré avec l’accord d’une vente de missiles balistiques et de drones supplémentaires à la Russie, dont l’armée est toujours engagée en Ukraine. Pour acter ce partenariat, Mohammad Mokhber avait conduit une délégation à Moscou en octobre 2022. C’est d’ailleurs pour son implication présumée dans des « activités nucléaires ou balistiques », que l’UE l’avait inscrit sur une liste de personnes à sanctionner en 2010, avant de l’en retirer deux ans après. Il a également été placé par le Trésor américain en 2021 sur la liste « SDN » d’individus visés par des sanctions.
Mais Mohammad Mokhber est aussi accusé d’être impliqué dans plusieurs affaires de corruption liées à la vente de pétrole iranien, notamment avec son fils Sajjad, et d’une gestion douteuse de la crise du coronavirus. Mokhber a en effet supervisé les efforts de Setad pour fabriquer un vaccin contre le Covid-19, par l’intermédiaire de l’une de ses fondations. Mais l’Associated Press affirme que « seule une fraction » des dizaines de millions de doses promises « a été rendue publique, sans explication ».
Personnage de l’ombre quasiment inconnu avant les années 2000, le parcours de Mohammad Mokhber suggère le profil d’une figure influente qui a su manœuvrer en coulisses, familier des réseaux de financement importants pour le pouvoir iranien. Si, à ce stade, il ne fait pas partie des candidats potentiels à la future présidentielle, la philosophe Azadeh Thiriez-Arjangi ne serait finalement pas étonnée de le voir dans la course, tant « il est au cœur du dispositif, placé à des endroits cruciaux et stratégiques ». Mais sur les réseaux sociaux iraniens, on se désole surtout avec cette expression : « le boucher part, le voleur arrive ».
Source : Rfi