Selon les informations reçues par les Nations unies, des femmes et des filles palestiniennes auraient été exécutées arbitrairement à Gaza, souvent avec des membres de leur famille, y compris leurs enfants. Les experts ont exprimé leur vive inquiétude quant à la détention arbitraire de centaines de femmes et de jeunes filles palestiniennes, y compris des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes et des travailleurs humanitaires, à Gaza et en Cisjordanie depuis le début du conflit, le 7 octobre, à la suite des attaques terroristes meurtrières du Hamas en Israël. Entretien avec Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés.
RFI : Est-ce que vous pouvez nous dire un peu ce qu’il se passe en ce moment à Gaza pour ces jeunes femmes ?
Francesca Albanese : La situation est très violente, de tous points de vue. À la suite du rapport que nous avons fourni au gouvernement israélien, nous avons sollicité une enquête immédiate, car nous avons reçu des plaintes directes ou indirectes, c’est-à-dire aussi par le biais des avocats qui travaillent dans le milieu des droits de l’homme en Palestine, portant sur la torture, sur les menaces sexuelles, sur des viols. Je ne peux pas entrer dans les détails, car ces gens-là ont pris un risque en parlant. Ce n’est pas évident, soit pour ceux qui sont à Gaza, soit pour ceux qui sont encore en détention.
Je vous invite à lire l’appel urgent qui nous a été adressé et qui a été adressé à la rapporteuse spéciale sur la prévention de la torture. Ce rapport a été soumis par des organisations israéliennes, il porte sur les tortures et les maltraitances des prisonniers et des détenus palestiniens depuis le 7 octobre. C’est horrible ce qui se passe et nous, tout comme ces organisations, nous avons l’impression qu’il s’agit d’une situation systémique de violence et de harcèlement contre les détenus. Déjà, avant le 7 octobre, c’était assez préoccupant. Maintenant, ça atteint des proportions inquiétantes.
Votre rapport parle des traitements dégradants de centaines de jeunes femmes, que ce soit à Gaza ou en Cisjordanie…
Il y avait déjà une forte déshumanisation des Palestiniens avant le 7 octobre. Mais depuis le 7 octobre, l’armée israélienne a abandonné toute forme de restreinte. Des centaines de femmes ont été capturées à Gaza parmi les 3 000 prisonniers qui ont été faits, surtout quand l’armée israélienne est rentrée dans le nord de Gaza. Parce qu’ils considèrent tous ceux qui n’ont pas obéi à l’ordre d’évacuation forcée comme des terroristes… Parmi les femmes qui ont été arrêtées ou bloquées, il y avait des médecins, des infirmières, des journalistes et personne n’a été vraiment épargné. Elles ont été dévoilées, elles ont été soumises à des fouilles corporelles de la part de soldats, des hommes. Ce n’est pas normal. Ça pouvait se passer avant, mais c’était l’exception, non pas la règle.
Il y a des cas où les femmes ont été forcées de voir l’exécution de leur famille. À leur arrestation, on les a prises en photo, parfois nues, dans des positions très embarrassantes et dénigrantes. Il y a eu beaucoup de plaintes, de menaces de viol, de type : « On va te violer toi, et tes sœurs, et ta mère », etc. Mais il y a eu aussi des viols. Ce n’est pas seulement quelque chose qui arrive aux femmes. Il y a aussi des situations de viol sur des hommes. La situation est très grave, il y a des abus immenses. C’est pour ça qu’on a besoin d’une enquête. Ils sont détenus dans des centres où il est très difficile d’entrer. Et tout cela, ce n’est pas une catastrophe naturelle, c’est la décision de l’armée et du gouvernement israélien.
Vous demandez une enquête. Est-ce que vous pouvez nous dire pourquoi, et qui pourrait mener ces enquêtes ?
Il y a une commission indépendante qui est censée enquêter sur ce qui se passe dans le territoire occupé et Israël, ils ont un mandat beaucoup plus large que le mien par exemple. Je serais bien disposée à mener cette enquête, mais comme vous le savez, il m’est interdit de rentrer dans le territoire palestinien occupé. C’est aussi le cas pour les centres de détention en Israël. Il faudrait s’assurer que le CICR rentre dans tous les centres de détention et aussi que les droits des Palestiniens soient respectés.
Depuis le 7 octobre, il y a eu une intensification des violations importantes qui, déjà, affligeaient le système de détention. Le deuxième rapport que j’ai présenté aux Nations unies, c’était sur la détention et déjà, il y avait une réalité catastrophique du point de vue des droits de l’homme. Et ça a révélé une responsabilité aussi de crimes de guerre, la façon dont les Palestiniens étaient traités en prison. Aujourd’hui, la situation est vraiment hors de contrôle.
Quelles seront les évolutions des conditions de vie à Gaza à l’avenir ?
Les Palestiniens à Gaza sont vraiment réduits à une condition inhumaine sans précédent. Quelque 30 000 Palestiniens à Gaza ont déjà été tués. Presque 13 000 d’entre eux sont des enfants et 70% des victimes ne sont que des femmes et des enfants. Environ 80% de l’infrastructure civile de Gaza, soit n’existe plus, soit n’est plus fonctionnelle, a été détruite. C’est pour ça que même la Cour internationale de justice (CIJ) s’est prononcée sur la possibilité du risque de génocide.
Ce qu’Israël mène depuis cinq mois a tout à fait l’air d’une conduite génocidaire, visant l’élimination des Palestiniens de Gaza. C’est ce qu’ils ont dit, c’est ce qu’ils sont en train de faire. Même s’ils disent que leur but, c’est de chasser le Hamas, le problème, c’est qu’Israël considère toute la population à Gaza comme son complice. C’est une situation très violente. On a déjà dépassé le point de non-retour à mon avis, mais il faut bloquer Israël. Bien sûr, il faut que les hostilités cessent, mais cela ne va pas se passer avec des mots de condamnation des États occidentaux, c’est le moment de prendre des mesures concrètes pour arrêter. Le risque, c’est qu’ils chassent les Palestiniens de Gaza en Égypte et les Palestiniens de Cisjordanie, petit à petit, comme ils sont en train de le faire depuis 57 ans. Et plus.
Source: RFI