Maître Amadou Oury Diallo, avocat de la partie civile dans le procès du massacre du 28 septembre 2009 qui se tient au tribunal criminel mis en place à cet effet, insiste sur le refus de démissionner de la quasi-totalité des ministres du gouvernement du Comité national pour la démocratie et le développement (CNDD), à l’époque au pouvoir. L’avocat demande leur comparution à tous et l’exhumation des corps des victimes « ensevelies dans des fosses communes », apparemment au quartier Faban, derrière la piste de l’aéroport. Il a donné une interview à nos confrères de FIM FM.
Est-ce que ces deux demandes, à savoir la comparution de tous les ministres du gouvernement du CNDD, et l’exhumation des corps ensevelis dans « les fosses communes » dans un cimetière de la haute banlieue de Conakry sont justifiées ?
Me Amadou Oury Diallo : Je rappelle que le 26 septembre 2009, tout le gouvernement du CNDD avait effectué un déplacement pour accompagner leur mentor à Labé pour aller demander le soutien de la population de Labé pour la candidature de président Moussa Dadis Camara à l’élection présidentielle. Cette campagne a continué à Macenta, à Guékédou et à Nzérékoré, les journées du 27 et 28 septembre 2009. Pendant que la population Guinéenne était en train de se faire massacrer par une garde présidentielle au stade du même nom, tous ces ministres étaient en campagne. Ils savaient effectivement ce qui prévalait, ce qui était préparé sur le terrain. Personne n’a alerté, personne n’a démissionné sauf Abdourahamane Sanoh. Personne n’a fait une déclaration, personne ne s’est désolidarisé de ce qui était prévu, c’est-à-dire le massacre du 28 septembre. Après le massacre, aucun ministre n’a fait une déclaration. Un deuil national n’a été décrété. Il fallait démissionner avant le massacre dès lors qu’on est au courant du projet qui était prévu ce jour.
Comment pouvaient-ils imaginer ou savoir à l’avance qu’un tel massacre se serait produit ?
Me Amadou Oury Diallo : Je vous donne un exemple simple. Dans la matinée du 28 Septembre, le ministre de la sécurité, feu Mamadouba Toto Camara, s’était rendu chez le Premier ministre quand il a appris l’organisation de la manifestation ; il se sont rendu à la présidence, ils ont rencontré le président dans sa chambre, ils l’ont trouvé dans tous ses états. Il menaçait de descendre au stade pour régler le compte des manifestants, ils ont cherché à le temporiser jusqu’à ce que le Premier ministre a claqué la porte, parce qu’ils ne s’entendaient pas. Il a laissé le ministre Toto-là.
Ce jour-là, le Premier ministre et tous les membres du gouvernement, j’estime qu’ils devraient d’abord empêcher que le président et la garde partent sur le lieu et s’ils ne réussissent pas ce jour, normalement, ils devraient tous démissionner. Ils ne l’ont pas fait, j’estime qu’ils sont complices de tous les massacres qui ont été perpétrés au stade du 28 septembre. C’est pourquoi je demande leur comparution, parce qu’ils ont de comptes à rendre au peuple de Guinée
Maitre, est-ce que le fait que vous avez des preuves qui indiquent effectivement que ce massacre était planifié vous donne aujourd’hui le droit de demander leur comparution ?
Me Amadou Oury Diallo : Nous avons des preuves, écoutez lorsque les ministres partent à l’intérieur du pays pour faire la compagne de la candidature du président de la République et vous savez que c’est ce mot d’ordre qui a fait déborder le vase donc ils sont à l’origine de ces évènements. Et le petit matin du 28 septembre tous étaient au courant. Et d’ailleurs, dans la nuit du 26 au 27 même le ministre Tibou était à la présidence pour avoir utilisé son téléphone pour permettre un échange entre le président et le leader politique M. Sidya Touré. Donc lui était au courant de ce qui était prévu et d’autre ministre également. Les officiers supérieurs et sous-officiers étaient au courant de ce qui était préparé. L’envoi de recrues au camp Alpha Yaya notamment à la présidence, c’est une preuve.
Le jour où Dadis a menacé d’ôter la tenue et se présenter a été pour beaucoup le point de départ de la contestation. Il y a aussi l’étape de Labé ou ils ont dit clairement, au stade que Dadis sera candidat et que les gens doivent l’accompagner. Est-ce que vous voulez dire qu’implicitement c’est ce que ce voyage signifiait ?
Me Amadou Oury Diallo : Alors je vous informe, après Labé le programme qui était prévu, c’était que toute la délégation y compris le président et le ministre de la défense nationale passe la nuit à Mamou pour rencontrer les sages du Timbo le matin afin de recevoir leurs bénédictions, mais puisque le général avait dit que lui, il ne passait pas la nuit à Mamou étant donné qu’il avait la compagne à faire à Macenta, ainsi de suite.
Donc le président Dadis a changé le programme pour dire bon : on rentre tous à Conakry, mais les membres du gouvernement passent la nuit à Mamou pour aller suivre le programme de Timbo, c’est ce qui fut fait. Les membres du gouvernement ont rencontré les sages du Timbo le lendemain pour solliciter les bénédictions de ces derniers pour la candidature et l’élection de Moussa Dadis Camara à la présidentielle.
Cette demande devant le tribunal criminel, de faire comparaitre tous les ministres du gouvernement d’alors et même passer à l’exhumation de ces corps-là, est-ce que, ça s’arrête à cette demande verbale ou derrière, est-ce que vous devez adresser une demande écrite au président du tribunal quelle est la procédure en la matière ?
Me Amadou Oury Diallo : La demande doit se faire verbalement et puis publiquement, à l’audience publique pour que la demande soit discuté contradictoirement par les autres parties avant que le tribunal ne prenne sa décision. J’estime que le tribunal n’a pas intérêt à refuser de faire comparaitre les membres du Gouvernement et l’exhumation de tous les corps pour identifier si effectivement, il y a des charniers là-bas, des fosses communes, si effectivement ces corps qui sont disparus se retrouvent dans ces trous, c’est pour la manifestation de la vérité.
La deuxième question par rapport aux exhumations, vous demandez qu’il y ait des fouilles au cimetière. Est-ce que vous avez la certitude qu’il y a un endroit où il y a par exemple une fosse commune et qu’il faut exhumer les corps qui seraient présumés enterrés dans cette fosse commune, ou bien vous voulez tout simplement qu’on vienne au cimetière à la recherche des fosses communes, donc déterrer tous les cadavres pour voir si on peut tomber sur une fosse ?
Me Amadou Oury Diallo : Vous savez très bien que dès le lendemain du massacre du 28 septembre les parties civiles ont parlé de ces fosses communes pour n’avoir pas retrouvé les leurs. Les médias en ont parlé, les réseaux sociaux en ont parlé, ils continuent à en parler. cela se retrouve dans les procès-verbaux d’audition des témoins, même des leaders politiques notamment Lousseny Fall qui était au stade et qui en a parlé. (…) Nous voulons parvenir à la manifestation de la vérité, je pense que le tribunal doit accéder à cette demande pour que les victimes puissent retrouver les leurs, organiser des funérailles et puis inhumer en toute dignité leurs morts. Nous ne pouvons pas finir ce procès sans retrouver quand même ces corps qui ont disparu et ces personnes qui sont disparues. Il y en a qui n’ont pas été retrouvés, on n’a pas vu leurs corps. Mais nous devons tous nous posez cette question ; c’est pour cette raison que j’ai formulé cette demande.
Est-ce que le gouvernement (CNDD) s’était effectivement réuni pour planifier le massacre du 28 septembre ?
Maitre Amadou Oury Diallo. Je ne dirai pas que le gouvernement s’est réuni pour planifier ce massacre mais, ce dont je suis certain, certains membres du gouvernement étaient au courant et après le massacre il n’y a pas eu de déclaration publique par les membres du gouvernement, il n’y a pas eu de condamnation et aucun deuil national n’a été décrété. c’est pourquoi je condamne tous les membres du gouvernement à commencer par le Premier ministre qui s’est rendu dans la chambre du président qui a constaté que le président était dans ses états et qu’il était prêt à aller au stade pour en découdre avec les manifestants. Normalement, le Premier ministre devrait réunir tous membres du gouvernement pour déclarer la démission du gouvernement.
Transcrit par Alpha Amadou Diallo