Le Cavaliere a rendu les armes. Ce lundi 12 juin, Silvio Berlusconi est décédé à l’âge de 86 ans, comme l’ont annoncé plusieurs médias italiens. Avec sa disparition se tourne en Italie une longue et mouvementée page politique imprégnée par l’omniprésence du Milanais tour à tour sénateur, europarlementaire, président du Conseil européen et surtout par quatre fois Premier ministre du Bel paese, établissant au passage un record de longévité (3 339 jours !) à la tête du Palazzo Chigi depuis la Seconde Guerre mondiale.
La santé chancelante de l’octogénaire lombard faisait, depuis plusieurs années la une des médias transalpins qui suivaient avec attention et inquiétude chacun de ses passages dans la suite VIP de l’hôpital San-Raffaele de Milan. De sa récente prise en charge pendant six semaines, au printemps dernier, pour traiter une leucémie chronique et une infection pulmonaire à son opération à coeur ouvert en 2016 après une attaque cardiaque qui avait failli lui être fatale. Sans oublier le coronavirus qui avait fortement affaibli l’ancien Premier ministre. « La pire expérience de ma vie, j’ai cru ne pas en réchapper », confiait-il, marqué, à sa sortie des soins.
Avant d’incarner au tournant du siècle le nouveau visage de la politique made in Italy, c’est dans le milieu des affaires que Silvio Berlusconi (troisième fortune du pays à l’heure de son décès) s’est d’abord taillé un nom. Après une myriade de petits boulots (photographe de mariage, vendeur de brosses électriques, barman ou encore chanteur sur les bateaux de croisière), il fera ses premières armes dans le secteur de la construction, dans sa ville natale de Milan en pleine transformation. De quoi lui valoir une médaille de chevalier de l’ordre du Mérite et un surnom de Cavaliere, pour l’éternité.
La télé à la sauce italienne
Au milieu des années 1970, il lance sa holding, Fininvest qui deviendra rapidement l’un des poids lourds du secteur privé du Bel paese. Via son groupe Mediaset, Berlusconi s’attaque au monopole de la Rai et s’impose dans le paysage médiatique de la péninsule. La télé à la sauce berlusconienne s’invite chez tous les Italiens et leurs voisins européens. En Allemagne, en Espagne et même en France avec l’aventure de LaCinq, avortée en 1992, non sans quelques tensions avec le maire de Paris, Jacques Chirac, qui dépeindra le businessman lombard en « marchand de soupe italien ».
Son ascension politique, elle, démarre au milieu des années 1990 dans une Italie dévastée par les scandales de corruption de l’affaire « Mains propres ». Le magnat de la presse « entre sur le terrain » aux législatives de 1994, cherchant à séduire l’électorat transalpin orphelin de la DC. « Il y avait un espace politique à remplir immédiatement et cela ne pouvait se faire qu’avec le leadership et les médias. Berlusconi avait les deux », rappelle Giovanni Orsina, politologue de l’université Luiss et spécialiste de la droite italienne. Avec ses alliés de la Ligue du Nord et les postfascistes de l’Alliance nationale (ancêtres des Frères d’Italie de Giorgia Meloni), sa coalition centre droit l’emporte et, à 58 ans, Silvio Berlusconi débarque au Palazzo Chigi non sans soulever des interrogations en Italie et ailleurs. Et pour cause, un businessman aux manettes, c’est une première dans les démocraties européennes.
Mais trahi par ses alliés du nord, l’expérience tourne court et Berlusconi doit jeter l’éponge au bout de quelques mois. Il signera cependant son retour aux affaires de 2001 à 2005, en dirigeant alors le plus long exécutif que l’Italie n’ait jamais connu depuis l’après-guerre. Le quatrième et dernier mandat du Caïman (ainsi dépeint par le réalisateur Nanni Moretti en 2006) au Palazzo Chigi, lui, s’achèvera dans la quasi-disgrâce, poussé vers la sortie en novembre 2011 à l’heure de la crise de la zone euro et des plans de rigueur. À la tête de la présidence du Conseil, Berlusconi est remplacé par l’ex-commissaire européen Mario Monti et son équipe de « techniciens ».
Rugbygate et « bunga-bunga »
Impossible d’évoquer le parcours de Silvio Berlusconi sans s’attarder sur son interminable bras de fer avec la justice transalpine. Régulièrement, le Cavaliere se définissait comme « l’homme le plus persécuté d’Italie », traqué sans relâche par les « robes rouges » communistes, dénonçait l’homme des lois ad personam. Son historique judiciaire est copieux : une trentaine de procès en un quart de siècle quasiment tous terminés en acquittement ou en prescription. En février dernier encore, l’octogénaire ressortait libre du tribunal de Milan, après des accusations de corruption de témoins dans le troisième volet du rocambolesque Rubygate et des soirées « bunga-bunga » de l’ex-président du Conseil en compagnie de prostituées.
Unique ligne sur son casier judiciaire : une condamnation en 2012 à quatre années de réclusion dans une affaire de fraude fiscale visant son groupe Mediaset. Une peine réduite à un an que le sénateur italien purgera dans une maison de repos après avoir été déchu de son mandat par ses pairs en 2013. Infatigable et déterminé, à 86 ans, le senatore Silvio Berlusconi fera son grand retour sur les bancs du palais Madame en septembre 2022 après la large victoire de la coalition de centre droit. Du survivalisme politique. « Pensez à toutes ses mésaventures : à 2011 et la crise des dettes souveraines, le bunga-bunga, les affaires judiciaires en tous genres. N’importe qui d’autre n’aurait pas survécu au tiers de cela et lui est toujours resté », soulignait déjà le politologue Giovanni Orsina.
Des sorties controversées
Mais en football comme en politique, Silvio Berlusconi a dû revoir ses objectifs à la baisse. Lui qui avait porté le Milan AC sur le toit de l’Europe (29 trophées, dont 5 Ligues des champions en trois décennies) visait désormais le milieu de tableau de Serie A avec le bien modeste AC Monza. Sur la scène politique, le Cavaliere a d’abord été contraint de faire une croix sur la présidence de la République, siège de longue date convoité et seule ligne manquante à son CV. Avant d’accepter ensuite, bon gré mal gré, de jouer les seconds rôles au sein de la majorité gouvernementale archidominée par les Frères d’Italie de Giorgia Meloni, celle-là même à qui, il y a quinze ans, Berlusconi offrait son premier poste ministériel.
Ces derniers mois, l’ex-Premier n’existait plus sur la scène politique que par ses sorties controversées sur l’Ukraine et sur la Russie de son éternel ami Vladimir Poutine. Un allié bien embarrassant pour Giorgia Meloni et ses projets sur la scène européenne mais incontournable pour la majorité gouvernementale. Politiquement, Silvio Berlusconi laisse derrière lui une maison Forza Italia au plus bas dans les scrutins. Un parti déserté par nombre de cadres et de dauphins éconduits à qui le Cavaliere aura inlassablement refusé de passer le flambeau. « Son histoire politique s’effondrera avec lui », concluait Giovanni Orsina.
(Source : Le Point)