C’est une visite que personne n’attendait. Ce jeudi, le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Yaya Kaïraba Kaba, a pris tout le monde de court en débarquant sans prévenir sur deux chantiers majeurs à Dubréka : le futur Palais de Justice et le centre pénitentiaire moderne de Yorokoguiyah. Objectif affiché : s’assurer que la justice guinéenne se dote enfin d’infrastructures dignes de ce nom et que les détenus bénéficient de conditions plus humaines.
Un tribunal pour restaurer la dignité de la justice
Première étape de cette tournée éclair : le chantier du Tribunal de Première Instance de Dubréka. Dans cette préfecture, comme dans bien d’autres à travers le pays, la justice est rendue depuis des bâtiments privés loués par l’État. Une situation que le ministre juge intolérable.
« Il faut restituer à la justice sa dignité. C’est désolant d’entendre qu’un propriétaire réclame le paiement des loyers du tribunal », a-t-il lancé, visiblement agacé.
Sur le terrain, le constat est plutôt rassurant : 25 % des travaux sont réalisés, pour un décaissement évalué à 20 %. À terme, l’édifice comprendra 40 bureaux, 6 salles d’audience et 17 toilettes, répartis sur trois niveaux. Livraison prévue dans huit mois, sous réserve de financements réguliers.
Une prison ultra-moderne pour désengorger Conakry
À quelques kilomètres de là, le ministre et sa délégation se dirigent vers Yorokoguiyah, où s’élève un projet titanesque : un centre pénitentiaire d’une capacité de 3 000 détenus, conçu pour répondre aux normes internationales.
Quatre blocs de détention sur trois niveaux, miradors de surveillance, espaces dédiés à la réinsertion sociale : la future prison ambitionne de devenir un modèle en Afrique de l’Ouest.
« Ce sera l’une des prisons les plus modernes de la sous-région », affirme Souleymane Kadiatou Camara, directeur national des infrastructures judiciaires et pénitentiaires.
Abdoulaye Keita, directeur du projet pour l’entreprise Mobinek, précise que le périmètre sera sécurisé par une clôture de 10 mètres de haut, renforcée de grillages et de barbelés. Un dispositif censé empêcher toute évasion.
Une descente en prison qui tourne au choc
Mais le moment le plus marquant de cette visite se joue derrière les barreaux. Yaya Kaïraba Kaba, visiblement déterminé à aller au-delà des discours, exige d’entrer en contact avec des détenus pour comprendre leur réalité. Ce qu’il découvre est glaçant : des jeunes incarcérés depuis plus d’un an sans avoir été jugés, faute de dossiers retrouvés. Parmi eux, Abdoulaye Conté et Abdoulaye Finando, arrêtés en 2023 pour un présumé vol de téléphone, mais oubliés dans les méandres administratifs.
Scandalisé, le ministre ordonne leur libération immédiate. Puis, il pousse plus loin en ordonnant une fouille surprise des cellules. Le bilan est édifiant : des boucles de chanvre indien, 34 téléphones portables et plusieurs armes blanches sont saisis, preuve que le problème sécuritaire en milieu carcéral reste entier.
Un message fort pour un système en mutation
Cette visite inopinée du ministre de la Justice résonne comme un signal fort : l’État veut réformer son système judiciaire et carcéral. Entre la construction d’un tribunal moderne à Dubréka et celle d’un centre pénitentiaire sécurisé à Yorokoguiyah, les autorités entendent redonner crédibilité et humanité à la justice guinéenne.
Mais sur le terrain, les défis restent nombreux. Financements incertains, corruption latente, administration judiciaire engorgée : le chemin est encore long. Reste à savoir si cette impulsion ministérielle saura résister à l’épreuve du temps.
Saliou Keita