Le feuilleton judiciaire d’Amadou Damaro Camara se poursuit, et avec lui, un nouvel épisode qui interroge sur l’état de notre justice. L’ex-président de l’Assemblée nationale, condamné en décembre 2024 à quatre ans de prison pour détournement de fonds publics et corruption, voit son procès en appel déjà marqué par une controverse de taille. Le 4 février 2025, alors que la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières (CRIEF) entamait l’examen du dossier, un accroc procédural a conduit au renvoi du procès.
En cause, l’impartialité du juge Francis Kova Zoumanigui, déjà impliqué en première instance. Le procureur spécial Aly Touré a soulevé un point de droit crucial : peut-on laisser un juge, ayant déjà eu connaissance de l’affaire, présider son examen en appel ? Un débat juridique s’est immédiatement ouvert, la défense contestant vigoureusement l’argument en avançant que le magistrat n’avait pas statué sur le fond. Mais la Cour a tranché : l’affaire est renvoyée au 20 février, avec une nouvelle composition.
Ce rebondissement n’est pas anodin. Il révèle à quel point les procès de figures politiques en Guinée sont scrutés et souvent entachés de tensions procédurales. Il pose aussi une question plus large : celle de la crédibilité de notre appareil judiciaire dans la lutte contre la corruption. Car au-delà du sort personnel de Damaro Camara, c’est bien la capacité de la justice guinéenne à traiter ces affaires avec rigueur et indépendance qui est en jeu.
Le cas des coaccusés n’échappe pas non plus aux incertitudes. L’homme d’affaires chinois Sun Jun Cheng, condamné à un an de prison avec sursis, était absent à l’audience, faute de citation à comparaître. Quant à Michel Kamano, dont la peine est plus lourde (cinq ans et quatre milliards de francs guinéens d’amende), la question de son appel demeure floue. Ce flou alimente une impression persistante d’improvisation et d’opacité dans la gestion de ces dossiers.
Dans un pays où la corruption gangrène les institutions, ce procès aurait dû être une occasion de démontrer que l’État ne transige pas avec l’intégrité publique. Or, ce cafouillage procédural pourrait au contraire renforcer le scepticisme ambiant. Le renvoi du procès ne fait que retarder une décision attendue par une opinion publique lassée des demi-mesures. Pour que la justice soit véritablement un rempart contre les dérives des élites, elle doit être irréprochable. Il en va de la confiance des citoyens dans l’État de droit.
Saliou Keita