Au cœur des prétoires du tribunal de Conakry, une atmosphère chargée d’électricité marque l’entame d’un chapitre décisif de l’histoire judiciaire guinéenne. Ce lundi 13 mai 2024, les plaidoiries des avocats résonnent dans le cadre du procès emblématique du 28-Septembre. Les souvenirs douloureux de 2009 refont surface, quand, à cette même date, le stade du 28-Septembre à Conakry fut le théâtre d’une tragédie : au moins 157 vies fauchées lors d’un rassemblement opposé à la junte dirigée par le capitaine Moussa Dadis Camara. Ce lieu symbolique a été le témoin de scènes indicibles : exécutions publiques, viols infligés à des dizaines de femmes, tortures dans des camps militaires improvisés.
Désormais, le banc des accusés accueille l’ancien chef de la junte, Dadis, ainsi que dix autres figures du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), tous confrontés à des accusations dans un procès qui résonne comme une bataille pour la justice et la mémoire collective. Après dix-huit mois d’audiences, les avocats des parties civiles prennent enfin la parole. Selon l’Organisation guinéenne des droits de l’homme (OGDH), qui a accompagné les victimes depuis l’horreur de 2009, 106 voix se sont élevées à la barre pour témoigner des atrocités subies. Avec au moins quinze avocats à leurs côtés, ces plaidoiries promettent d’animer les audiences pendant plusieurs jours, avant que le ministère public ne livre ses réquisitions.
Ce n’est qu’après cette phase que les défenseurs des accusés présenteront leurs arguments en faveur des onze hommes sur le banc des accusés, parmi lesquels l’ex-leader de la junte, Moussa Dadis Camara, son ancien aide de camp, Aboubacar Diakité, surnommé « Toumba », et l’ancien ministre de la Lutte anti-drogue, Moussa Tiegboro Camara. Grâce aux témoignages poignants des survivants, la véritable étendue du carnage de 2009 émerge enfin. Mais malgré ces avancées, des lacunes persistent, déplore Alseny Sall, porte-parole de l’OGDH, soulignant notamment le refus des autorités judiciaires d’enquêter sur les sites présumés de fosses communes où reposeraient encore une centaine de disparus. Ce manque d’action fait écho à d’autres défaillances dans le processus judiciaire, comme la fuite de nombreux responsables présumés.
Une ombre plane également sur le procès avec l’évasion retentissante, le 4 novembre 2023, du redoutable colonel Claude Pivi, alias « Coplan », une figure aussi crainte que respectée au sein de l’armée guinéenne, toujours en fuite à ce jour. Alors que les accusés font face à des accusations de « meurtre, assassinat, viol, torture », entre autres, les contours juridiques du procès sont remis en question. En mars 2024, le parquet a plaidé pour une requalification des faits en crimes contre l’humanité, une démarche soutenue par les parties civiles mais contestée par la défense. La décision finale sur cette requalification sera prise au moment du jugement, lançant ainsi une dernière phase cruciale dans cette quête pour la vérité et la justice.
Alpha Amadou Diallo