Le passage des témoins a débuté ce lundi, 13 novembre 2023, dans le procès des événements du 28 septembre 2009. Tibou Kamara, ministre chargé de la communication auprès du chef de l’État et du ministre de la Défense au moment des faits, a donné sa version des faits.
« À propos du voyage de Labé, j’ai entendu beaucoup de versions. Personnellement, à l’époque j’avais posé la question au capitaine Moussa Dadis Camara pour connaître la motivation exacte qui le poussait à se déplacer sur un territoire à l’époque jugé hostile et inhospitalier pour le président en fonction qu’il était. Je me rappelle ce qu’il m’avait dit à l’époque, à savoir qu’il ne voulait pas donner le sentiment d’être président d’une partie de la Guinée et pas d’une autre. Il ne voulait pas donner l’image d’un président qui gouvernait une partie de la Guinée contre une autre.
Et ensuite, en tant que soldat et serviteur de la République, il ne voudrait pas donner le sentiment qu’il y a une partie du territoire qui lui est autorisée et une partie qui lui serait interdite. Il a donc eu le sentiment que ce déplacement aurait donné le message qu’il n’y aurait pas de discrimination entre les différentes régions du pays et qu’il voulait être au-dessus de la mêlée et être un président de tous les Guinéens. Et le dernier argument, c’était une invitation de la notabilité de Labé et donc, il ne pourrait leur faire l’offense de ne pas répondre à leur invitation. Voilà les trois raisons qu’il m’a données pour motiver et expliquer le déplacement qu’il voulait faire à Labé.
Effectivement, nous avons été à Labé. Le voyage s’est passé dans de bonnes conditions. La notabilité, la jeunesse, la population en général de Labé, s’est fortement mobilisée, a réservé un accueil chaleureux et enthousiaste dans la ferveur au chef de l’État qui était reçu dans une partie du pays. Et le meeting qui a eu lieu au stade principal de Labé s’est déroulé dans les meilleures conditions », a-t-il expliqué.
Avant le départ de Labé, l’ancien journaliste dit avoir abordé la question du meeting que les Forces Vives de Guinée comptaient organiser deux jours plus tard au stade du 28 septembre de Conakry avec le général Sékouba Konaté. Il affirme avoir demandé à celui qui était ministre de la Défense à l’époque, d’intervenir auprès du capitaine Moussa Dadis Camara afin de concilier les positions des opposants qui voulaient manifester et du président du CNDD (la junte militaire qui dirigeait alors la Guinée) en vue d’éviter la confrontation qui se dessinait.
« J’ai expliqué au général Sékouba que les deux préoccupations n’étaient pas tant inconciliables que ça. Nous aurions pu parler avec les organisateurs pour engager leur responsabilité par rapport à l’organisation de la manifestation, pouvoir trouver un accord avec eux de manière à ce que nous n’allions pas à la confrontation, nous ne tombions pas dans une épreuve de force à l’issue incertaine, parce que personne ne peut dire comment peut finir une épreuve de force, personne ne pouvait imaginer dans l’incompréhension et dans la confrontation ce qu’il pourrait en advenir, comme on en a eu, l’amer, la triste et dramatique expérience avec les événements du 28 septembre 2009.
Le Général Sékouba Konaté était convaincu par l’argumentaire mais il m’a répondu que lui n’étant pas politique, c’est une réponse qu’il me réservait souvent lorsque nous discutions des sujets à caractère politique, il m’a dit : je suis d’accord avec toi, mais comme le capitaine (Moussa Dadis Camara) n’est pas très loin, je vais lui demander d’en discuter avec toi. Et tout ce sur quoi vous serez d’accord, moi je suis d’accord. C’est vous les politiques, c’est vous qui connaissez l’État, allez discuter entre vous bien que personnellement, je suis convaincu que c’est la bonne démarche, et je suis prêt à t’appuyer auprès du capitaine pour faire passer ce message…
Je suis allé voir le capitaine Moussa Dadis Camara, effectivement, il a prêté une oreille attentive, mais il était un peu sceptique parce qu’il ne voyait pas la raison de manifester, il ne voyait pas le motif du mécontentement des Forces Vives à l’époque, qui étaient de très bons partenaires à lui, individuellement et collectivement. Parce qu’il discutait avec eux au téléphone, les recevait dans son bureau, ils avaient une habitude de discussion et une culture de partenariat. Donc il était étonné des raisons de la descendre dans la rue qui était l’expression d’un malaise, d’une dissension des rapports que lui à l’époque jugeait cordiaux et excellents. Il disait qu’il parlait avec la plupart d’entre eux, mais que personne ne lui a fait part d’une raison de manifester. Pour ainsi dire, il était sceptique », a-t-il indiqué.
Tibou Kamara a ensuite évoqué l’échange téléphonique entre le capitaine Dadis Camara et Sidya Touré, qui revient souvent dans les débats. Il a confirmé que c’est effectivement sur son téléphone portable que le dirigeant guinéen au moment avait échangé avec le président de l’UFR (dans la nuit du 27 au 28 septembre 2009) pour lui demander de reporter le meeting qui était prévu au stade du 28 septembre de Conakry.
« J’étais à la maison, dans mon lit quand j’ai reçu l’appel du capitaine (Dadis) me demandant si c’était possible que je vienne le voir au camp. C’était très courtois et poli de sa part me demander si j’étais disponible pour aller le rencontrer, c’est lui qui était le chef de l’État (…). Je suis donc arrivé au camp Alpha Yaya, l’ambiance était un peu morne parce que, habituellement, comme je l’ai dit, c’est dans les soirées que le travail se faisait. Et donc, il y avait de l’affluence, il y avait du monde. Vous savez, le pouvoir attire le monde venant de tous les horizons, et le camp Alpha Yaya ressemblait pratiquement à cette époque à une grande agglomération tant il y avait beaucoup de monde.
Mais puisqu’on rentrait tous de voyage, parce que la plupart d’entre nous avaient effectué le déplacement de Labé, il n’y avait pas grand monde. Donc je n’ai pas eu du mal ni de temps à traverser le salon qui mène à gauche à son bureau et à droite dans ses appartements. Lorsque j’ai pénétré dans ses appartements, le capitaine n’avait même pas de béret, il était extrêmement fatigué, c’est comme s’il sortait à peine du lit. De toutes les façons, il n’était pas en tenue de travail, et il n’était pas derrière son bureau. Il s’est rappelé de la discussion qu’on avait eue à Labé et de ce que j’avais fait comme observation. Et ça l’a intéressé que nous refassions la discussion.
Nous avons refait la discussion, et à la fin, il était d’accord d’appeler les organisateurs de la manifestation pour trouver un accord avec eux sur les conditions et les modalités de l’organisation de leur manifestation. Ce n’est pas moi qui ai pris l’initiative, c’est à sa demande que j’ai appelé l’ancien Premier ministre et président de l’UFR, M. Sidya Touré. Je précise à ce stade que ce n’était pas la première fois que j’appelais quelqu’un pour le président Moussa Dadis. Le capitaine a commencé la conversation par les civilités habituelles. Il était d’accord à ce que la manifestation ait lieu, mais qu’il avait deux points sur lesquels il voudrait discuter avec lui.
Le premier point, la date du 28 septembre, il a estimé qu’à partir du moment où c’est une date historique qui est réservée à la mémoire des Guinéens comme étant une fête qui a permis de recouvrer la fierté ou célébrer la fierté recouvrée, il souhaitait que l’on épargne cette date des conflits liés à des protestations, liés à des manifestations et qu’après le 28 septembre, n’importe quelle autre date du choix des organisateurs était agréée par lui pour faire leur manifestation. La deuxième chose qu’il a demandée, c’est de délocaliser la manifestation du 28 septembre vers le stade de Nongo.
Si mes souvenirs sont bons, c’est parce qu’à cette époque-là, le stade du 28 septembre était en rénovation ou en tout cas accueillait des travaux en prélude à un match international qui devrait se dérouler. Dans tous les cas, il a souhaité que la manifestation n’ait pas lieu au stade du 28 septembre parce que ce n’était pas approprié pour la circonstance. Je saurai après que M. Sidya Touré a expliqué que l’heure était un peu tardive et qu’il aurait été difficile à une heure aussi tardive de la nuit de pouvoir discuter avec les co-organisateurs de la manifestation et les convaincre du report, parce qu’on était plus à quelques heures de la tenue de leur manifestation.
Et la deuxième chose, il a voulu rassurer le capitaine Dadis que la manifestation serait pacifique et que de toutes les façons, ce qu’ils ont prévu dans leur programme, c’est de venir rencontrer les militants, prononcer un discours de circonstance et après repartir à leurs domiciles. Le capitaine a demandé encore de reporter à une autre date et de bien vouloir aller organiser la manifestation à Nongo, et puis l’appel a été interrompu. Le capitaine m’a remis le téléphone pour rappeler M. Sidya Touré, je l’ai rappelé, ils ont refait la même conversation dans les mêmes termes face au même blocage et une nouvelle fois le téléphone ne passait plus.
Et quand le capitaine m’a redonné le téléphone pour rappeler une nouvelle fois M. Sidya Touré, le téléphone ne passait plus parce qu’il était éteint. Je n’ai pas voulu dire cela au capitaine pour ne pas créer un conflit avec M. Sidya Touré, je lui ai simplement dit que le téléphone ne passait plus et qu’on allait essayer d’appeler les autres organisateurs de la manifestation. On a essayé avec Cellou et avec d’autres, mais aucun des téléphones ne passait. Et donc, finalement, puisqu’on n’arrivait à joindre personne, à commencer par le premier interlocuteur, j’ai vu le président Dadis un peu déçu de n’avoir pas trouvé un accord.
Mais il y avait un espoir parce que je rappelle que malgré cette tentative qui n’avait pas abouti, le lendemain, il était question que les chefs religieux prennent la relève pour continuer les discussions avec les Forces Vives de manière à parvenir à un consensus. C’est dans ce cadre que les chefs religieux se sont rendus très tôt dans la matinée du 28 septembre pour rencontrer Jean Marie Doré et d’autres leaders à son domicile. La rencontre a bel et bien eu lieu, mais je ne peux dire ce qu’il en a résulté puisque je n’étais pas présent et témoin de la scène », a-t-il déclaré, ajoutant qu’après les événements du 28 septembre, le capitaine Dadis lui a demandé de se rendre une nouvelle fois au camp Alpha Yaya Diallo.
« À la fin de la journée, le capitaine Dadis m’a appelé pour me demander si c’était possible que je vienne au camp. Je lui ai dit que cette fois, j’ai bien le désir d’aller au camp, mais qu’il n’y a pas de circulation. On ne peut pas prendre le risque de sortir dans un moment où il y avait des fortes tensions surtout que moi mon domicile est à Kipé, et dans cette partie de la ville, il y avait plus d’incidents et plus de tensions. Je me rappelle qu’il avait envoyé Issa qui était le gouverneur de Mamou dans un véhicule avec d’autres agents pour me chercher. Lorsque je suis arrivé au camp Alpha Yaya, j’ai trouvé le capitaine Dadis assis dans un couloir, les mains sur la tête.
Lorsque je suis rentré, il m’a dit : Tibou, tu as vu ce qu’on m’a fait ? Est-ce que tu as vu ce qu’on m’a fait ? J’étais un peu surpris parce que c’était une des rares de fois pour ne pas dire la seule fois que je l’ai vu vraiment dans une position de faiblesse. Moi, j’étais habitué à l’homme d’autorité, à l’homme de pouvoir, sûr de lui en toute confiance, dans toutes les situations. Mais là, celui que j’ai vu était littéralement dévasté. Lorsqu’il est entré dans son bureau comme toujours, il y avait d’autres collaborateurs qui étaient assis nombreux dans le bureau. Et je crois que c’étaient ceux qui étaient déployés sur le terrain ou en tout cas qui appartenaient aux services de sécurité, parce que les premières explications étaient en train d’être données…
Et ce que j’ai entendu, la plupart disaient au capitaine que les victimes l’ont été par bousculade, que la plupart de ceux qui sont tombés sont tombés par bousculade. Lorsque j’ai entendu cela, j’ai dit spontanément, peut-être imprudemment, non Monsieur le président, il y a d’autres aussi qu’on dit avoir été tués par balle. Il a sursauté de son fauteuil, en disant par balle, mais on m’a dit que c’est par bousculade. J’ai dit non, je n’étais pas présent, je ne suis pas témoin, mais c’est une piste à explorer compte tenu de l’ampleur du drame. Et ensuite, il a expliqué qu’il se préparait à autoriser l’évacuation de Cellou à l’étranger pour ses soins, parce qu’il a discuté de cette question avec son père, le président Wade », a témoigné Tibou Kamara.
(source : Guinee114)