Depuis 8 mois, le responsable des opérations du front national pour la défense de la constitution (FNDC) – officiellement dissous par la junte militaire au pouvoir -, Ibrahima Diallo, est en prison. Son épouse, Mme Diallo Asmaou Barry, journaliste et membre du Conseil national de transition (CNT), estime que cette détention depuis le 30 mars « illégale » et s’est confiée à lindependant.org.
Lindependant.org : Votre mari est en détention depuis le 30 juillet 2022 (Ndlr : l’interview a eu lieu le 30 mars 2023). Selon nos informations, il observe le jeûne en prison. Quel est votre état d’esprit ?
Mme Diallo Asmaou Barry : Oui effectivement cela fait 8 mois que lui et certains de ses camarades sont en détention. Il peut paraitre difficile que pendant ce mois de ramadan qu’ils puissent observer le jeûne en prison, mais ce sont des messieurs que moi j’ai côtoyé. Je trouve leur capacité de résilience assez forte et que cela ne les ébranle pas. C’est vrai que chacun voudrait être aux côtés de sa famille dans ses moments de partage sauf que, là pour l’instant des autorités en ont décidé autrement. Nous n’avons pas le choix, mais cela n’affecte en rien leur foi en Dieu. Avant le ramadan, ils observaient le jeûne les jeudis et lundis. Pour le moment, on ne se plaint pas non plus et on s’arrange pour que tout se passe bien pour eux, afin que rien ne leur manque à la prison, qu’ils puissent observer le jeûne dans des conditions comme s’ils étaient à la maison. Donc on essaye de faire le maximum pour que cela soit possible. Maintenant il est toujours difficile comme je l’ai dit de le faire loin de la famille, mais comme ils ont un mental fort notamment Ibrahima, ils font passer les jours.
Lindependant.org : Comment fait-il pour avoir de la nourriture en cette période de ramadan ?
Mme Diallo Asmaou Barry :C’est comme d’habitude. Même en dehors du ramadan, c’est la famille qui amène la nourriture notamment moi. On l’amène à manger tous les jours, le petit déjeuner, le déjeuner et le dîner. Donc en cette période de ramadan c’est la même chose. On leur amène le manger le soir vers 16h30-17h pour qu’ils puissent recevoir leur manger avant la fermeture de la prison. Au moment de la rupture, ils font la rupture dans leur cellule avec leurs codétenus. Parce que cette année Dieu a voulu que ce soit ceux-là avec lesquels ils puissent observer le jeûne. Donc ils font le partage avec eux. (…).
Lindependant.org : Vous êtes membre du CNT, est ce que vous avez fait cas de votre mari au président de cette institution ou au ministre de la Justice ?
Mme Diallo Asmaou Barry : Je ne vois pas pourquoi je devrais plaider auprès de qui que ce soit pour le cas de mon mari. Une action judiciaire est intentée contre lui, je n’ai pas à user de mon statut de Conseillère nationale pour influencer ou supplier qui que ce soit, et d’ailleurs je pense que ça serait injuste d’autant plus qu’il y a plusieurs autres prisonniers qui sont dans une situation de détention préventive prolongée et qui eux n’ont pas l’occasion d’en parler à un ministre. En tant que citoyenne ce que je demande pour le cas de Ibrahima et pour tous les autres en situation de détention préventive, c’est que lorsqu’une procédure judiciaire est intentée qu’on donne toutes les chances qu’elle puisse aboutir et dans les brefs délais. Il est incompréhensible que des Guinéens soient emprisonnés et que leur détention préventive dépasse de loin les peines qu’ils auraient pu écoper s’ils étaient reconnus coupables en procès. Les acteurs de la justice devraient œuvrer à ce que cette situation d’abus cesse.
Lindépendant.org : Que faudrait-il faite selon vous ?
Mme Diallo Asmaou Barry : En Guinée, la détention préventive est trop longue et cela constitue une violation de droits humains. Pour le cas d’Ibrahim et ses compagnons, cela fait 8 mois qu’ils sont détenus sans jugement. Leur mandat de dépôt a expiré et désormais ils sont en détention illégale : le mandat de dépôt, c’est quatre mois renouvelable une seule fois. Donc les quatre premiers mois sont passés, ils n’ont pas été jugés, les quatre deuxième et derniers mois se sont écoulés depuis cette fin mars. Et si leur procès n’est pas organisé dans les plus brefs délais, cela prouve qu’ils subissent tout simplement un abus de la part de ceux-là qui ont intenté des poursuites contre eux. C’est une détention illégale que je condamne avec fermeté. J’espère que les magistrats en charge du dossier vont faire assez rapidement prendre leur responsabilité pour qu’enfin Ibrahim, Fonike et autres soient situés sur leur sort. Mais aussi pour que l’opinion sache également de quoi on reproche ces activistes de la démocratie et de la liberté. Il est inadmissible qu’on d’emprisonne des Guinéens tout simplement parce qu’on a le pouvoir de le faire et parce qu’ils s’opposent à votre façon de gouverner ou de conduire la Transition. C’est une aberration.
Lindependant.org : 8 mois sans procès et pourtant ça été clamé haut et fort dans la journée du 5 septembre 2021 que la transition aura pour boussole la justice. Comment comprenez-vous que votre mari soit détenu durant tout ce temps sans être jugé ?
Mme Diallo Asmaou Barry : La justice est la boussole, je pense que cela est resté dans le discours le jour où il a été prononcé. En tout cas dans les faits, le Guinéen lambda ne sent pas cela encore. Il y a beaucoup qui pensent que la boussole s’est cassée, elle s’est perdue on ne sait pas. Parce que tenir un discours est une chose, exécuter ou mettre en œuvre en est une autre. Si on ne met pas les moyens à disposition, pour que les cours et tribunaux puissent faire leur travail, si l’intégrité des magistrats est mise en cause, ça veut dire que cette parole, cette citation restera au stade de discours, et elle ne sera jamais mise en œuvre.
Lindependant.org : Qu’est-ce que vous demandez aujourd’hui aux autorités de la transition ?
Mme Diallo Asmaou Barry : Je n’arrêterais jamais de demander à ceux qui incarnent le pouvoir judiciaire et plus précisément le tribunal de Dixinn et même aujourd’hui la cour suprême de hâter le pas pour qu’Ibrahim et ses compagnons puissent être situés sur leur sort ; qu’on sache qu’est-ce qu’on leurs reproche qui n’ont fait que s’opposer à la façon de conduire la transition. Il faut qu’ils le fassent. Et si jamais, c’est le pouvoir exécutif qui influence le pouvoir judiciaire je suis indignée. Parce que la justice, les magistrats après avoir fait leur mea-culpa au lendemain du 5 septembre 2021 (Ndlr : après le coup d’Etat qui a renversé l’ex président Alpha Condé) pour dire qu’ils n’avaient pas les mains libres, si aujourd’hui ils retournent dans la même situation, ce que leur intégrité est remise en cause. Donc qu’ils travaillent à renforcer leur responsabilité, et qu’ils jugent les dossiers en se fondant sur la loi. A partir d’aujourd’hui, je considère qu’Ibrahima est en détention illégale. Et jusqu’à ce qu’un procès soit organisé ou qu’il soit libéré, nous allons le considérer ainsi et tout ce qui adviendra en tout cas de mal à Ibrahima nous tiendrons pour responsable la justice et le régime du CNRD. Et ça on ne le pardonnera jamais en tant que famille.
Propos recueillis par Amadou Tidiane Diallo