Le procès du massacre du 28 septembre 2009, suivi dans le monde entier et qui tient en haleine le public guinéen, révèle petit à petit ses secrets. Même si les débats n’en sont qu’au début, les contradictions notées dans la version fournie au tribunal par le capitaine Moussa Dadis Camara intriguent plus d’un observateur…
L’ex putschiste de décembre 2008, semble focaliser sa ligne défense sur un argument curieux : pendant que lui était au pouvoir, les événements tragiques qui se sont déroulés au stade de Dixinn, le 28 septembre 2009, et qui ont provoqué la mort violente d’au moins 157 manifestants et le viol de plus de 100 femmes, seraient orchestrés par l’ex président Alpha Condé (à l’époque dans l’opposition à la junte militaire), le général Sékouba Konaté qui était ministre de la défense entre décembre 2008 et décembre 2009, et le commandant Aboubacar Diakité dit « Toumba », à l’époque aide de camp de Dadis.
Détail important, ni Condé, ni Konaté n’était à Conakry le jour du massacre mais ils auraient «instrumentalisé» Toumba pour commettre ce massacre, selon Dadis.
Le même capitaine vantait pourtant, à la fin d’une interview accordée à la presse burkinabè, en 2015, les belles qualités de ses « frères » Alpha Condé et Sékouba Konaté (https://www.youtube.com/watch?v=sFc0s4hAqDU).
En fait, dans le scénario bizarroïde décrit par l’ex patron du Comité national pour la démocratie et le développement (CNDD), la contradiction la plus frappante est le fait que l’accusé Dadis semble avoir perdu de vue que la raison principale de la mobilisation des Forces vives (regroupement de l’opposition et de la société civile) est sa propre déclaration publique faite à Boulbinet, quelques jours plus tôt (« Si je veux, je me présente, si je veux je ne me présente pas » (Ndlr : entendez à l’élection)), indiquant sa volonté d’ôter la tenue militaire pour se présenter à la présidentielle. On était bien loin de la promesse du capitaine hésitant, justifiant sa prise de pouvoir, qui consistait à organiser une élection ouverte et démocratique, entre civils…
Une autre contradiction de Dadis est de vouloir laisser penser, à postériori, que Toumba, son aide de camp, donc son homme de confiance, était un pion du général Konaté alors que la méfiance entre les deux militaires (Konaté et Toumba) était de notoriété publique. Le général Konaté avait sa propre garde rapprochée et son propre « aide de camp »…
Les propos de Dadis, laissant penser que le « sergent sans troupes » Toumba (qu’il n’aurait rencontré « qu’une seule fois », selon l’ex chef du CNDD) n’a joué aucun rôle dans le putsch qui l’a conduit au pouvoir, intriguent. Comment Dadis pourra-t-il convaincre qu’il a pu faire confiance, par une logique difficile à expliquer, à un simple soldat de rang, qu’il n’aurait connu que furtivement sur le tas, dans une atmosphère de cohue et d’incertitude liées au coup d’état, au point d’en faire son aide de camp, avec toute la charge et la sensibilité qu’un tel poste incarne ? C’est une contradiction majeure à moins qu’il n’explique, dans les détails et sans faux fuyants, pourquoi il a nommé Toumba comme aide de camp.
Le capitaine putschiste a également affiché d’étranges oublis au sujet des « hommes » qui auraient accompagné Toumba au stade du 28 septembre (Toumba affirme qu’il y a été seul avec le « féticheur » de Dadis, un certain Foromou). Ne pas aller jusqu’au bout de son témoignage en citant nommément ceux qu’il appelle « les hommes de Toumba » est une dérobade que les juges ne comprendront pas. Ce point est délicat pour Dadis.
En effet, donner des noms de militaires (qu’ils soient impliqués ou non dans les événements sanglants) exposerait l’ex président du CNDD à des déballages dont il aura du mal à se dépêtrer. Surtout si ceux-là, sont restés au fameux « salon », comme l’affirme Toumba dans sa version, il risque d’y avoir du grabuge dans la défense du bouillant capitaine.
Dadis prétend par ailleurs ne rien savoir du camp de Kaleah et que c’est le général Konaté, en tant que ministre de la défense nationale, qui a procédé au recrutement. Sur ce point, il est difficile de croire qu’une opération de mobilisation de futurs militaires, dans un contexte de coup d’Etat, puisse se faire à l’insu du commandant en chef de forces armées. C’est une autre contradiction, un point que le capitaine doit éclaircir.
Last but not least, Dadis a tenté de démontrer que le nettoyage du stade après le massacre et les coups de peinture passés sur les murs n’étaient que du ressort du ministre des sports ou du directeur de l’enceinte qui, par le passé, a donné tant de satisfaction à la Guinée (triplé du Hafia FC en Coupe des clubs champions, en 1972, 1975 et 1977, victoire en Coupe des vainqueurs de coupes pour le Horoya AC en 1978).
Une telle déclaration va résister difficilement à l’analyse, tant les faits qui se sont déroulés au stade étaient d’une gravité inouïe. Qu’un chef d’Etat qui prétend n’avoir rien à se reprocher, conscient de l’ampleur du drame, donne des ordres clairs pour qu’aucune trace des crimes perpétrés en ces lieux ne soit effacée était la moindre des choses pour faciliter les enquêtes, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit. Vouloir justifier son inaction par les simples attributions qu’il a lui même conférées à des personnalités très au-dessous de son pouvoir, est une contradiction flagrante. Il ne s’agissait pas de matches de football mais de meeting politique réprimé dans le sang par des hommes armés (un fait assimilable à des « crimes de masse » ou un « crime contre l’humanité » si la CPI récupère le dossier) ! Quid des corps des victimes tuées par balles ? Qui des corps disparus ? Quid des femmes violées ou mutilées ? Quid de sa responsabilité à lui ? Dadis dit qu’il dormait. Difficile à croire…
Enfin, comment Dadis pourra expliquer que lui, en sa qualité de chef de l’Etat, président de la transition, président du CNDD, commandant en chef des forces armées (les décrets étaient signés ainsi), n’était pas le commandant du régiment des bérets rouges ? Mystère et boule de gomme…
La rédaction