Dialogue politique, injonctions de poursuite contre plusieurs anciens dignitaires du régime d’Alpha Condé, procès du massacre du 28 septembre 2009, trajectoire de la transition, etc, le président de l’Union des Forces Démocratiques (UFD) aborde de nombreux sujets dans cette interview accordée à la rédaction de lindependant.org.
Lindependant.org : Récemment, 188 dignitaires dont l’ancien président de la République, Alpha Condé, ont fait l’objet d’injonctions des poursuites déclenchées par le ministre de la justice Alphonse Charles Wright. Comment jugez-vous un tel procédé ?
Mamadou Bah Baadiko : Ce sont 188 noms. Mais là-dedans, il y a des doublons. Et cela est dû au fait, qu’apparemment, on a trouvé des sommes très importantes dans les comptes au nom de ces personnes sans aucun lien avec leur revenu supposé dans leur vie professionnelle ou familiale. Nous avons dit et redit qu’il fallait mettre fin à l’impunité dans ce pays. L’impunité concernant non seulement les crimes de sang, les tortures, les arrestations arbitraires et les crimes financiers. Donc, il fallait bien y arriver. Il fallait bien que le CNRD se pose des questions. Maintenant, la grande interrogation, c’est pourquoi avoir fait ça maintenant. Ils ont déjà, sous la main, des gens qui sont en état d’arrestation, depuis quelques temps. On se serait attendu à ce qu’il y ait un procès ouvert qui permette au peuple de Guinée d’en savoir plus sur les agissements de ces personnes arrêtées, savoir qu’est-ce qu’on leur reproche exactement, au cas échéant, si le tribunal ne peut pas prouver leur culpabilité, qu’on les libère. Mais, toujours, il faut que justice soit faite. Une justice impartiale, indépendante et soucieuse avant tout de défendre les intérêts du peuple de Guinée.
Lindependant.org : Certaines personnes opposées aux méthodes de la junte militaire disent soupçonner des règlements de comptes…
Mamadou Bah Baadiko : Il ne faut pas qu’il y ait un soupçon d’instrumentation ou d’utilisation de la justice pour régler des comptes politiques. Mais c’est tout à fait normal, certains, dans ce pays, se croyaient totalement au-dessus de la loi. Sinon je vous rappelle que dans les pays européens aujourd’hui ou aux USA, même avec l’équivalent de 10 millions de francs guinéens, on peut vous arrêter pour suspicion d’activités illégitimes. Donc c’est un coup de semonce. Pour l’instant, tant qu’on n’aura pas la justice vraie, équitable comme on est en train de voir avec le procès du 28 septembre 2009, qui fait découvrir à la population la face cachée de certains dirigeants politiques, administratifs et (leurs) complices.
Lindependant.org : Que pensez-vous du fait qu’un ministre de la justice, donc membre de l’exécutif, soit publiquement à la base d’une telle initiative qui met en branle la machine judiciaire ?
Mamadou Bah Baadiko : Le procureur de la République dans un tribunal, dans l’appareil judiciaire est sous le contrôle du ministère de la justice. La cour constitutionnelle et la Cour suprême seules sont les derniers recours. Seules les deux cours qui ne sont pas sous les ordres du ministre de la justice. Donc il n’a fait que son travail. Puisqu’il est garant de l’intérêt public. Donc c’est tout à fait normal que ce soit le parquet, comme on l’appelle, qui déclenche ses affaires-là.
Lindependant.org : Plus concrètement, quelle est votre opinion par rapport à la teneur des charges présumées, qui sont annoncées et qui ne semblent pas tenir compte de la présomption d’innocence ?
Mamadou Bah Baadiko : On n’a pas dit que tant que quelqu’un n’a pas été jugé, il ne doit pas être détenu. La détention préventive existe. Puisque lorsqu’il y a des soupçons de détournement de preuves, de subordination de témoins ou de non présentation devant la justice, la justice a parfaitement le droit d’appliquer le principe de la détention préventive. L’essentiel que cela ne soit pas, comme on a l’habitude de le voir, une détention illimitée, sans jugement. On a besoin qu’il y ait un jugement avec des dossiers solides circonstanciels avec des preuves et que justice soit rendue au nom du peuple de Guinée.
Lindépendant.org : Donc, vous pensez vraiment qu’il n’y a pas de règlement de comptes…
Mamadou Bah Baadiko : C’est trop facile de parler de règlements de compte. Pourquoi ils ne nous règlent pas à nous des comptes? C’est parce qu’ils n’ont rien à nous reprocher. Et pourtant on n’est pas tendre avec eux ! On dénonce tout ce qui ne va pas dans leurs agissements. Personne ne doit être au-dessus de la loi, sinon on n’en sortira pas. Quand on n’a pas peur de bon Dieu, il faut au moins avoir peur de la justice.
Lindependant.org : Certains pensent également que ces poursuites sont déclenchées pour écarter des candidats potentiels aux futures élections, post-transition…
Mamadou Bah Baadiko : Moi, je ne peux pas répondre à votre question. On n’est pas dans les intentions du CNRD. C’est leur problème. Ils ont fait un coup d’État qui a renversé un régime qui est là. Ils ont parlé eux-mêmes du système prédateur corrompu politico-ethniciste qui a régné sur la Guinée et qui a détruit la Guinée depuis 64 ans. La population en a assez. On a été les premiers en Afrique, maintenant on est les derniers. Il faut qu’on sorte de ce système-là. Et ce n’est pas avec de l’impunité qu’on va en sortir. Il faut que chacun sache que quand on vous confie 1000 GNF du bien public vous devez le gérer correctement et rendre compte franc pour franc. Faute de quoi, vous vous exposez.
Lindependant.org : Comment peut-on prétendre lutter contre la corruption et refuser en même temps de déclarer ses biens ?
Mamadou Bah Baadiko : Vous ne pouvez pas vous mettre à poursuivre quelqu’un pour enrichissement illicite, mauvaise gestion, détournement, alors que vous-même, qui avez les rênes du pouvoir, vous refusez ou violez la loi comme lui, en refusant de déclarer vos biens. Donc on est en droit de suspecter des intentions pas claires du tout. Je vous rappelle que l’ancien premier ministre Mohamed Beavogui voulait qu’il y ait la déclaration des biens. Il n’y est pas arrivé. L’ancien ministre de la justice, Maître Fatoumata Yarie Soumah, qui avait été destituée de ses fonctions, était fortement impliquée pour qu’il y ait la déclaration des biens et elle n’y est pas arrivée. Donc ; là-dessus, vous ne pouvez pas valablement condamner des gens alors que, vous-même, vous n’êtes pas au-dessus de tout soupçon.
Lindependant.org : Le premier ministre Bernard Goumou et le quatuor se sont rencontrés finalement il y a quelques jours. Qu’en pensez-vous ?
Mamadou Bah Baadiko : Pour nous, c’est un non-événement. Ce n’est pas notre problème. On ne croit pas à ce dialogue. Puisque ce dialogue ne va jamais entrer dans le fond des problèmes qui minent la Guinée et qui ont détruit le pays. Nous ne sommes pas contre le dialogue, mais on ne voit pas en quoi ça fait avancer le pays. Qu’il ait un dialogue ou pas, dès l’instant on ne veut pas toucher le système corrompu, destructeur qui est là, en mettant en place des institutions qui nous ramènent réellement à l’impératif du développement économique et social de tout le pays, à travers l’émergence avancée, nous ne voyons pas tellement où on veut en venir. Ça ne mènera à rien.
Lindependant.org : Certaines critiques parlent d’une transition qui accuse un retard à l’allumage…
Mamadou Bah Baadiko : Nous avons toujours dit que tout se passait comme si le CNRD avait un agenda secret, qu’il déroule pour confisquer le pouvoir. Depuis le 05 septembre 2021, on a vu le nombre des rencontres, de dialogues de toute sorte. Et ils ont un agenda qu’ils sont en train de mener tout seuls, sans l’intervention de personne. Comme ils aiment à le dire « nous ferons ce que nous voulons. On a des comptes à rendre à personne ». On a perdu énormément de temps. Si on avait pris les choses correctement, honnêtement, à bras le corps au début de la transition, on aurait pu faire une transition totalement apaisée et nous concentrer sur l’essentiel qui était donc, comme ils disent eux-mêmes, la refondation du pays.
Lindependant.org : Un dialogue annoncé ou souhaité, en dépit de la présence des facilitatrices nationales, peut-il être jugé crédible en dehors d’une observation neutre de la CEDEAO et les partenaires techniques et financiers, eu égard au climat de méfiance qui a prévalu durant tout ce temps et qui continue de prévaloir ?
Mamadou Bah Baadiko : Ils ont prévu que la CEDEAO va les accompagner comme la cinquième roue du carrosse. Mais que ce n’est pas la CEDEAO ou un facilitateur impartial qui va diriger les débats ! Il sera là comme on vous dit pour (agrémenter) le décor. Et nous avons dit que nous ne croyons pas. Il n’y a pas de raison que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets. Ce dialogue donc, on n’y croit pas.
Lindependant.org : Que pensez-vous de la CRIF ?
Mamadou Bah Baadiko : Je dis que c’est un organisme. Nous avons salué son institution. Mais la CRIEF doit encore prouver sa crédibilité, avec des jugements circonstanciels, des preuves indiscutables et des décisions qui sont incontestables et objectives.
Lindependant.org : Le procès du massacre du 28 septembre 2009 suit son cours normal. Quelle analyse faites-vous de son évolution ?
Mamadou Bah Baadiko : C’est un procès très important. En principe on est tenu au devoir de réserve. Nous sommes obligés de nous imposer une seule réserve bien qu’ayant été acteur de premier plan des Forces vives, à l’époque de 2009, avec le doyen jean Marie Doré. Nous avons été au stade du 28 septembre, heureusement, Dieu est grand, nous n’avons pas été blessé, alors qu’il y a eu tout à côté. Ce procès nous apprend énormément de choses comme l’état d’esprit réel qui règne dans la tête des Guinéens ou ce qu’on appelle des élites guinéennes. Vous avez suivi vous-même, les débats du procès où l’ethnicisme était affiché, même par certains avocats. Il a fallu que le président du tribunal les rappelle à l’ordre. Donc c’est une bonne chose, mais cela veut dire que le vrai problème est là. Tout est vu dans le prisme ethniciste. Il faudrait en sortir.
Lindependant.org : Est-ce que vous ne pensez pas que la Guinée a » échappé » à la catastrophe au vu de la teneur des débats autour du camp de kaleya?
Mamadou Bah Baadiko : Là où il y a l’oppression, il y aura résistance. La force brutale, la sauvagerie dans la répression, ne va jamais sauver un régime quelconque. Si les gens qui avaient un certain nombre des projets y arrivaient, ils ne l’emporteraient pas au paradis. Ça fait partie de l’histoire de l’humanité. Je vous dis que ce procès nous apprend énormément de choses. C’est pour ça qu’un procès équitable, dans les règles de l’art, est important. On doit avoir le même procès pour tous les crimes depuis 1958. On n’a encore rien vu tant qu’on n’aura pas fait les procès de tous ces assassinats, tortures, en sachant que la Guinée a eu les salles de tortures les plus barbares du monde. Donc la justice est une très bonne boussole. Et il faut la suivre.
Selon vous, l’ancien président Moussa Dadis Camara doit-il rester en prison ou en résidence surveillée ?
Je refuse de répondre à votre question qui est une provocation.
Votre mot de la fin?
L’impunité ne paie pas. Les manipulations politiciennes ne peuvent pas régler les problèmes de la Guinée. Il faut qu’on accepte de prendre à bras le corps les problèmes de la Guinée, de travailler honnêtement et de reprendre les choses à zéro, de travailler sur une véritable politique nous permettant de panser les plaies de ce pays et de donner un autre exemple à l’Afrique. Je vous remercie.
Propos recueillis par Amadou Tidiane Diallo