La mélodie de « Djéré Lélé » résonne encore, traversant les décennies et les frontières. Ressuscitée récemment par Soul Bang’s, la chanson fétiche de Bah Sadio n’est pas qu’une simple ritournelle populaire : elle est le symbole d’un destin hors norme, celui d’un artiste visionnaire, adulé puis oublié, dont l’ascension fulgurante fut stoppée net par la maladie.
Un parcours exceptionnel
Né à Bhoundou Tély, dans la préfecture de Lélouma, Bah Sadio a très tôt été happé par la musique. Son voyage artistique commence en Guinée et se poursuit au Sénégal, où il rejoint Dakar avec son orchestre. Son talent, à la croisee du folklore peul et de l’influence mandingue, lui ouvre les portes des scènes les plus prestigieuses d’Afrique de l’Ouest. Le succès ne tarde pas : les tournées s’enchaînent, les foules s’enflamment, et Bah Sadio devient une icône vivante.
L’exil parisien et l’ascension fulgurante
En 1970, déterminé à franchir un nouveau cap, il débarque à Paris. La capitale française est alors un carrefour culturel foisonnant, où l’artiste trouve très vite ses marques. Armé de sa guitare et de sa voix envoûtante, il envahit les cafés et restaurants africains, à tel point que sa popularité suscite des jalousies. Les Maliens, très influents sur la scène musicale de l’époque, voient d’un mauvais œil cet artiste guinéen qui accapare l’attention et les cachets. Mais rien ne semble pouvoir arrêter Bah Sadio, qui engrange succès sur succès.
La maladie, la chute et la disparition tragique
Hélas, alors qu’il est au sommet de son art, la maladie le rattrape. Victime d’un problème hépatique, il est admis à l’hôpital Bichat de Paris. Les soins sont coûteux, les examens nombreux, mais Bah Sadio veut croire à la guérison. Malheureusement, le 25 octobre 1976, l’artiste rend l’âme sur la table d’opération. Il n’a que 36 ans.
La nouvelle de sa disparition plonge la communauté guinéenne et africaine dans une profonde tristesse. Les hommages affluent, la solidarité s’organise. Des figures politiques telles que Siradiou Diallo, Alpha Condé ou encore Bâ Mamadou apportent leur contribution pour assurer des obsèques dignes à l’artiste disparu. Pourtant, ses restes ne pourront jamais être rapatriés en Guinée. Inhumé au cimetière de Thiais, sa sépulture reste, aujourd’hui encore, un témoin silencieux de son exil et de son destin brisé.
Un héritage à préserver
Son album posthume, sauvé in extremis de la destruction, témoigne de son génie musical. Mais au-delà de l’œuvre, c’est la mémoire de l’homme qui doit être ravivée. Son ami Abdoulaye Carter Diallo conserve précieusement sa guitare et ses quelques objets personnels, espérant un jour voir ces reliques exposées dans un musée, pour que les générations futures se souviennent de celui qui fit danser l’Afrique.
Il est temps que la Guinée rende un hommage à la hauteur de son talent. Un concert commémoratif, une réédition de ses œuvres, une reconnaissance officielle : autant d’initiatives qui pourraient faire revivre l’esprit de Bah Sadio, ce troubadour dont la voix continue de vibrer, bien au-delà de la mort.
Alpha Amadou Diallo