Dans le tourbillon politique guinéen, rares sont les voix qui parviennent à allier expérience, mesure et franc-parler. Jacques Gbonimy, président de l’Union pour le Progrès de la Guinée (UPG) et vétéran des questions électorales, fait partie de ces voix qu’on écoute, même lorsqu’on n’est pas d’accord avec lui. Et dans une période aussi décisive que celle que traverse la Guinée, son point de vue sonne comme un appel au réalisme et au dialogue.
21 septembre 2025. C’est désormais officiel : le président de la transition a fixé cette date pour le référendum constitutionnel. Une annonce qui a pris de court certains observateurs, mais pas Jacques Gbonimy. « Il avait déjà dit que toutes les élections se tiendraient en 2025, donc rien d’étonnant à cela », rappelle-t-il d’un ton posé.
Pour lui, cette date marque une étape importante : « Après trois ans de transition, il est temps qu’on tourne la page. Un président élu démocratiquement permettra à la Guinée de se repositionner sur l’échiquier international. »
Mais pour y parvenir, il ne suffit pas d’une date et de bonnes intentions. Il faut du concret. Et sur ce terrain-là, Gbonimy sait de quoi il parle.
Recenser, oui. Mais bien.
Le recensement électoral doit débuter le 15 avril pour une durée de 45 jours. Suffisant ? Pas impossible, selon lui. « Avec des moyens adaptés et une volonté politique réelle, c’est jouable. Mais il faut que ce soit bien fait. »
Et surtout, il insiste sur un point crucial : le ciblage. « On parle de recenser à partir de 10 ans, mais ce n’est pas le moment. Ce qu’il faut, c’est un fichier électoral pour les citoyens en âge de voter. Un fichier crédible, transparent, qui évite les erreurs du passé. »
Il se méfie des raccourcis technocratiques et des approches mal adaptées au contexte guinéen. « Le RAVEC pose déjà problème. Alors pourquoi s’acharner ? Partons sur du ciblé, du pragmatique. »
Dialogue, toujours
Jacques Gbonimy est un partisan assumé du dialogue. « J’ai même écrit un livre là-dessus », sourit-il. Pour lui, toutes les crises, grandes ou petites, finissent autour d’une table. Et la transition guinéenne ne fera pas exception.
Mais attention : « Il ne suffit pas de dire qu’on veut dialoguer. Il faut s’assurer que tout le monde se sente concerné. Cela passe par une phase préparatoire sérieuse, où l’on définit ensemble les règles du jeu. Sinon, ça ne sert à rien. »
La grâce accordée à Dadis : entre humanité et politique
Quand on évoque la récente grâce présidentielle accordée à Moussa Dadis Camara, Jacques Gbonimy change légèrement de ton. Plus personnel. « Je connais Dadis depuis longtemps. Au lycée, à l’université… Humainement, je suis content pour lui. »
Mais il reste lucide sur la polémique que cette décision a soulevée. « Si la procédure a été respectée, alors il n’y a pas de problème. Et puis, Dadis a fait preuve de dignité : il s’est présenté au procès, il a coopéré. Cela mérite d’être salué. »
Et les autres ? Toumba, Claude Pivi, et les coaccusés ? « Moi, je pense qu’ils devraient aussi bénéficier d’une mesure de clémence. Cela contribuerait à l’apaisement. La Guinée a besoin de réconciliation. »
Et Doumbouya, alors ?
Le grand sujet, celui qui fait parler sur les plateaux, dans les quartiers, dans les salons : la potentielle candidature du général Mamadi Doumbouya.
Gbonimy préfère temporiser. « Ce débat est prématuré. On n’en est pas là. Tant qu’on n’a pas la Constitution, tant que les règles du jeu ne sont pas claires, ce n’est pas le moment. »
Mais il n’élude pas la question pour autant. « S’il remplit les critères, pourquoi pas ? Je ne suis pas contre la candidature de qui que ce soit. Mais pour que ce soit légitime, il faut qu’il reste au-dessus de la mêlée jusqu’à ce que tout soit en place. »
L’UPG, entre continuité et turbulence
Même au sein de son propre parti, les vents sont parfois contraires. Une crise interne secoue l’UPG depuis plus de trois ans. Mais là encore, Gbonimy garde le cap. « La justice suit son cours. Nous respectons ses décisions. Ce conflit aurait pu être réglé administrativement, mais il a fallu en arriver là. »
Malgré cela, l’UPG reste dans la course. « Nous avons été retenus parmi les partis pouvant continuer leurs activités. Nous sommes présents sur le terrain. »
Une transition à ne pas rater
En résumé, pour Jacques Gbonimy, le train de la transition est lancé, mais il ne doit pas dérailler. « Il faut un fichier électoral solide, un dialogue sincère, et surtout, de la cohérence. »
Il n’écarte aucune possibilité, mais rappelle une évidence souvent oubliée dans le tumulte : « Les bonnes élections sont celles que personne ne conteste. »
Et si la Guinée veut vraiment sortir de l’ombre, alors elle n’a pas droit à l’erreur.
Saliou Keita