Suspendu pendant quelques jours, le procès du massacre du 28 septembre 2009, a repris ce mardi 2 Mai 2023 par l’audition de Mme Djenabou Bah, victime et partie civile, qui a pointé du doigt les colonels Claude Pivi et Moussa Tiegboro Camara, mais le témoignage qui aura marqué les esprits est celui d’Alpha Bacar Diallo qui a confirmé avoir décompté au moins 40 corps dont 8 par balles à l’endroit où il se trouvait…
La dame Bah a affirmé avoir vu le colonel Pivi au stade et mentionné les déclarations faites par le colonel Tiegboro quelques minutes avant le massacre.
« Quand on l’a vu (Ndlr : le colonel Tiegboro), il a dit qu’on ne rentre pas. Nous lui avons répondu qu’on va rentrer. C’est là qu’il a dit « si vous rentrez, tout ce que vous aurez trouvé, vous l’aurez cherché » », a déclaré Bah qui raconte par la suite avoir été sérieusement molestée et blessée à la tête et au corps par des militaires, au moment des exactions.
Bah a affirmé avoir vu des civils armés d’armes blanches au stade, en train de commettre des violences.
Un des témoins de la partie civile Abdoul Gadiri Diallo, appelé à la barre, ne s’est pas présenté, ce qui permis de passer à l’audition d’Oumar Dioubaté (partie civile) qui lui, a expliqué à la barre comme il a perdu sa mère au stade.
« Ma mère est partie le matin au stade, mais elle n’est pas allée avec son téléphone, parce qu’elle a laissé son sac à la maison. Un membre du bureau de la jeunesse du RPG du nom de Guirassy m’a dit qu’il l’a vu à l’entrée du stade, mais depuis, nous n’avons pas eu de ses nouvelles (…). Deux jours après, quand j’ai appris que des corps se trouvaient à Donka, je suis allé, il y avait beaucoup de corps en état de putréfaction, mais je ne l’ai pas vu là-bas. C’est le lendemain quand nous sommes partis à la mosquée Fayçal, que mon grand frère a reconnu le visage de ma maman, parmi ceux qui étaient là », a expliqué Dioubaté.
Suite à un moment de flottement, avec des témoins de la partie civile dont Mafering Soumah qui ne se sont pas présentés, le Tribunal a poursuivi avec Alpha Bacar Diallo.
Ce témoin de la partie civile a expliqué comment il a quitté son domicile et regagné les environs du stade, au niveau de la Fondis, où se trouvaient les leaders de la manifestation.
Diallo a détaillé comment un groupe de jeunes « apparemment des sportifs », les a entraînés à l’intérieur du stade, faisant le « V » de la victoire et en les encourageant.
« On s’est retourné vers la terrasse (ndlr : du stade). Entretemps, il y avait un blindé qui a apparu et qui zigzaguait. Il y avait des jets de pierres… Ils (les personnes en civil) faisaient comme s’ils disaient aux gens « rentrez » (à l’intérieur) mais entretemps il (Ndlr ; le véhicule blindé) a disparu. On a regardé, le portail du stade était ouvert. Il y avait un groupe d’hommes (…) estimation 6 personnes comme ça. En les voyant, on sent que ce ne sont pas de simples civils parce qu’ils avaient l’air d’être des sportifs. Ils disaient aux gens « venez ! victoire ! Faites tomber les cailloux, les bois, ils fouillaient les gens. Il nous ont tous fouillés et personne ne rentré (au stade) avec un caillou ni un bâton. Moi je croyais que ces gens-là étaient des organisateurs de la marche….», a souligné Diallo.
« Une fois dans le stade, il y a eu un peu de pluie. Tout le monde faisait ce qui lui semblait bon. Certains faisaient le tour du stade, d’autres priaient…», a-t-il poursuivi détaillant comment l’absence de sonorisation rendait difficile la communication des leaders où moment où lui se trouvait assis de l’autre côté des gradins.
« Entretemps j’ai entendu un coup de feu, ensuite il y a eu jets de gaz lacrymogènes. C’est en ce moment qu’on a constaté qu’ils sont à l’intérieur. Ils sont venus par la grande porte du stade… Quand ils ont commencé à tirer des rafales successifs, sans cesse, on a vu des gens qui tombaient…», a déclaré Diallo.
Pris au piège, le témoin a expliqué comment il a réussi à escalader les grillages malgré les barbelés et comment il a failli s’asphyxier quand une foule nombreuse, en panique, a tenté de se frayer le passage par un portillon, l’obligeant à retourner sur ses pas pour sauver certaines personnes.
« D’un seul coup, les bérets rouges nous ont rejoint là-bas. Ils ont commencé à nous bastonner. L’un d’eux m’a blessé ici (Ndlr : il montre sa joue gauche). Ils ont commencé à nous frapper… Un moment, ils ont dit vous aller ramasser les corps qui sont là. On a dit « non » : ils ont dit « nous allons vous tuer si vous ne le faites pas ». (…) Le béret rouge qui m’a blessé m’a dit « toi je ne te lâcherais pas ». Ils nous ont mis en ligne et nous sommes à nouveau rentré par la petite porte du stade, là où il y avait beaucoup de corps morts asphyxiés. Au moins, il y avait une quarantaine de corps, mais les 8 étaient par balles (…)», expliqué Diallo.
« Une fois de nouveau à l’intérieur, le premier corps qu’on nous a fait ramasser était au centre du terrain avec une balle en plein cœur. Dans notre groupe il y avait des filles. L’une d’elle a dit « ce monsieur je le connais. Il est de la Cimenterie, il est revenu des Etats-Unis, ça fait 3 jours »…», a-t-il témoigné, révélant au passage avoir vu le corps de la maman du précédent témoin, Dioubaté.
Dans un récit poignant, Diallo a expliqué comment les bérets rouges ont fait semblant devant la Croix rouge de n’être pas responsables de ce qui se passait avant que le groupe d’otages survivants ne rejoigne l’hôpital Ignace Deen.
Alpha Amadou Diallo