Le 26 mars 1984, la Guinée bascule. Ahmed Sékou Touré, l’homme qui régna d’une main de fer sur le pays pendant près de trois décennies, s’éteint sur une table d’opération à Cleveland, aux États-Unis. Pour ses partisans, il est le héraut du panafricanisme, le défenseur intransigeant de l’indépendance. Pour d’autres, il est l’incarnation d’un régime de terreur, dont le sinistre Camp Boiro reste le symbole le plus glaçant.
Le Dernier Discours d’un Homme Traqué
Quelques jours avant sa mort, le 20 mars, Sékou Touré prend la parole lors d’un congrès syndical de la CEDEAO. Fidèle à son style, il dénonce les ennemis de la Guinée, fustige les complots réels ou imaginaires et réaffirme son engagement jusqu’à son dernier souffle. Ce dernier souffle, justement, semble plus proche qu’il ne le pense : quelques heures plus tard, le “ Leader Responsable Suprême ” est frappé de violents malais. Le diagnostic est sans appel : anévrisme de l’aorte.
Son état se détériore rapidement. Face à l’urgence, il est transféré en catastrophe aux États-Unis. Mais la science ne fait pas de miracle : Sékou Touré meurt le 26 mars. La nouvelle bouleverse la Guinée. Le 30 mars, il est inhumé à Conakry, au mausolée de Camayenne, en présence de nombreux chefs d’État et du vice-président américain George Bush. Un hommage officiel, mais sans ferveur populaire. Car le peuple guinéen, lui, n’a pas oublié.
Le Spectre du Camp Boiro
Derrière les discours, une réalité glaçante s’impose : le régime de Sékou Touré était avant tout celui de la peur. Et son nom se confond avec celui du Camp Boiro, ce centre de détention au cœur de Conakry, où furent enfermés, torturés et exécutés des milliers d’opposants réels ou supposés. La révolution, qui promettait la justice sociale et l’indépendance, s’est transformée en un état policier où la paranoïa du pouvoir dictait les purges successives.
Des figures de premier plan, comme Diallo Telli, premier secrétaire général de l’OUA, ou encore Fodéba Keïta, ancien ministre et intellectuel respecté, ont péri derrière les barreaux de cette prison maudite. Le “ traitement du silence ”, la faim forcée et les exécutions arbitraires étaient le lot de ceux qui avaient eu le malheur de désobéir au régime.
L’Armée sonne le glas du PDG
Mais la mort de Sékou Touré n’apporte pas immédiatement la libération tant attendue. Son Premier ministre, Louis Lansana Béavogui, assure l’intérim, tentant de maintenir en vie un régime ébranlé. Cependant, les tensions internes au sein du Parti Démocratique de Guinée (PDG) et la frustration latente de l’armée rendent cette stabilité illusoire.
Le 3 avril 1984, une semaine après la mort du “ Père de la Nation ”, l’armée s’empare du pouvoir. L’intervention est rapide, brutale et sans appel. La Constitution est suspendue, l’Assemblée nationale dissoute, le PDG balayé. Le colonel Lansana Conté prend la tête du Comité Militaire de Redressement National (CMRN) et annonce des mesures fortes : dissolution des institutions, arrestation des fidèles de Sékou Touré et, surtout, fermeture du Camp Boiro. Près d’un millier de prisonniers politiques recouvrent la liberté.
La Fin d’un Cycle
La chute de Sékou Touré marque un tournant. La Guinée quitte un régime de terreur pour plonger dans une nouvelle ère d’incertitude. Lansana Conté, en héritier pragmatique, promet d’assainir le pays, de tourner la page des années noires. Mais l’histoire nous enseignera que les révolutions de palais ne riment pas toujours avec justice.
Le 26 mars 1984, ce n’est pas seulement un homme qui s’est éteint, c’est tout un système qui a vacillé. La Guinée venait de perdre son premier chef, mais elle était encore loin de trouver la liberté.
Source: Jeune Afrique